Organisme de Foncier Solidaire, SA d’HLM et commande publique : des clarifications attendues
Rappel de la définition de l’Organisme de Foncier Solidaire :
Les Organismes de Foncier Solidaire (ci-après « OFS »)[1] sont des organismes sans but lucratif agréés par le représentant de l’Etat dans la région, qui, pour tout ou partie de leur activité, ont pour objet d’acquérir et de gérer des terrains, bâtis ou non, en vue de réaliser des logements et des équipements collectifs conformément aux objectifs de l’article L. 301-1 du Code de la construction et de l’habitation[2].
Les OFS sont agréés par le représentant de l’Etat dans la région. Peuvent être agréés à exercer l’activité d’OFS, à titre principal ou accessoire, les organismes sans but lucratif et les organismes mentionnés aux articles L. 411-2 et L. 481-1 du même code.
Une fois le terrain acquis, l’OFS en reste propriétaire et :
- Consent au preneur, dans le cadre d’un bail de longue durée dénommé Bail Réel Solidaire – Opérateur (ci-après « BRS Opérateur ») des droits réels ;
- L’opérateur immobilier, en sa qualité de titulaire de droits réels, concède ensuite des BRS – Accédants permettant aux preneurs d’accéder à la propriété des logements, à usage d’habitation principale ou à usage mixte professionnel et d’habitation principale, sous des conditions de plafond de ressources, de loyers et, le cas échéant, de prix de cession.
Le mécanisme du BRS, dispositif d’aide à l’accession sociale à la propriété est pertinent notamment dans différentes grandes villes de France où la pression immobilière est forte.
En effet, dans ces agglomérations, le prix des terrains à bâtir peut-être un frein à la construction et à l’acquisition de logements neufs. BRS et OFS apparaissent alors comme des outils essentiels.
Dès lors, le mécanisme du BRS est vertueux en ce qu’il permet :
- De loger les ménages aux revenus modestes et de leur permettre de se constituer un patrimoine immobilier,
- De renforcer la mixité sociale sur le long terme,
- De développer l’offre de logements et d’assurer la pérennité des parcs d’accession sociale à la propriété,
- De conserver une mixité sociale notamment au sein des centres-villes, le mécanisme de l’accession favorisant le bon entretien des logements.
Les sociétés anonymes d’HLM peuvent recevoir l’agrément pour se constituer en OFS
Depuis la loi ELAN, les offices publics de l’habitat peuvent être agréés par le préfet de région pour exercer les activités d’organisme de foncier solidaire.
L’article L.421-4, 9° du Code de la construction et de l’habitation dispose que les Offices Publics de l’Habitat (ci-après « OPH ») peuvent être agréés OFS.
Aux termes de l’article L. 422-2 du code de la construction et de l’habitation, dans les mêmes conditions que les OPH, les SA d’HLM peuvent également être agréées par le préfet de région pour exercer les activités d’OFS.
Les OFS constitués par les SA d’HLM sont-ils des pouvoirs adjudicateurs ?
Une fois ce cadre juridique posé, la pratique a amené les acteurs en présence à se questionner sur la sélection du véhicule juridique le plus adéquat afin que les SA d’HLM constituent des OFS.
Cette réflexion a conduit les professionnels du droit à s’interroger sur l’articulation entre ce cadre juridique et celui relatif au droit de la commande publique.
En effet, il apparaît que le législateur n’a pas précisé si les OFS constitués par les SA d’HLM, qui sont des pouvoirs adjudicateurs par application des textes, étaient ou non des pouvoirs adjudicateurs.
Dès lors, dans la mesure où aucune disposition législative ou règlementaire n’a pour l’heure clarifié les liens entre commande publique et OFS, le risque que les OFS constitués par les SA d’HLM soient qualifiés de pouvoirs adjudicateurs n’est pas négligeable.
En effet :
- La constitution d’un OFS sous la forme d’une association loi de 1901 n’est pas à elle seule de nature à écarter la qualification de pouvoir adjudicateur au vu des critères de définition existants ;
- Il en va de même pour la création d’un OFS sous la forme d’une société coopérative d’intérêt collectif (ci-après « la SCIC »). Il a été précisé que les caractéristiques des SCIC des SA d’HLM doivent conduire à les qualifier expressément de pouvoirs adjudicateurs[3].
Il apparaît donc que, quelle que soit la forme juridique retenue pour la constitution de l’OFS, il existe un risque que ce dernier soit un pouvoir adjudicateur assujetti au respect du droit de la commande publique.
Dès lors, si les contrats passés par l’OFS sont également qualifiables de marchés publics, ils devront être passés après l’organisation d’une procédure de mise en concurrence.
Il convient dès lors de savoir s’il existe un risque que les BRS Opérateurs conclus avec les promoteurs immobiliers puissent être qualifiés de marchés publics.
Les BRS Opérateurs sont-ils des marchés publics de travaux ?
Au vu de la nouvelle définition de ces marchés issues de l’article L. 1111-2 du code de la commande publique, seront des marchés publics de travaux l’ensemble des montages contractuels qui :
- Auront pour objet l’exécution, ou la conception et l’exécution des travaux énumérés à l’arrêté du 22 mars 2019, ou bien porteront sur la réalisation d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par le pouvoir adjudicateur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception ;
- Répondront à un besoin du pouvoir adjudicateur ;
- Moyennant le versement d’un prix ou toute contrepartie.
Ainsi, la nouvelle qualification de marché public de travaux concerne des montages contractuels qui échappaient à cette qualification sous l’empire du Code des marchés publics de 2006, comme par exemple les ventes de locaux à construire, les baux à construction, les cessions de terrains contre locaux à construire, ou les baux en l’état futur d’achèvement.
Sur ce point, la Direction des Affaires Juridiques de Bercy précise d’ailleurs :
« Désormais, le critère essentiel est que l’ouvrage soit réalisé conformément aux besoins précisés par l’acheteur, les moyens utilisés (…) en vue de cette réalisation étant indifférents. L’ouvrage est considéré être réalisé conformément aux besoins de l’acheteur lorsque ce dernier a pris des mesures afin de définir les caractéristiques de l’ouvrage ou encore a exercé une influence déterminante sur la conception de celui-ci. Ainsi, si la réalisation de l’ouvrage projeté répond à des spécifications définies de manière suffisamment détaillée par l’acheteur, ce montage sera donc qualifié de marché de travaux au sens du code de la commande publique. »
Au vu de ces éléments, il est dès lors hautement probable que les BRS Opérateurs qui viendraient à être conclus avec les opérateurs immobiliers remplissent les critères posés par le code de la commande publique.
En effet, ce BRS Opérateur pourrait s’analyser comme un contrat par lequel un OFS confie à un tiers la réalisation d’un ouvrage répondant à ses besoins et selon ses spécifications techniques, moyennant une contrepartie onéreuse constituée par le chiffre d’affaires réalisé par le promoteur lors de la deuxième salve de BRS.
Par conséquent, en l’état du droit actuel, de tels montages encourent un risque non négligeable de requalification en marchés publics de travaux.
Pour l’heure, il convient dès lors d’être extrêmement vigilant et de s’interroger systématiquement et au cas par cas sur l’obligation que pourrait avoir l’OFS d’organiser une procédure de publicité et de mise en concurrence pour l’attribution du BRS Opérateur.
En tout état de cause, et au vu des enjeux, il est certain qu’une intervention du législateur est plus que souhaitable afin de clarifier les règles du jeu.
Article écrit par Clarisse Bainvel, avocat associé.
[1] Article 164 de la Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové et articles L.329-1 et s. du Code de l’urbanisme.
[2] « I. – La politique d’aide au logement a pour objet de favoriser la satisfaction des besoins de logements, de promouvoir la décence du logement, la qualité de l’habitat, l’habitat durable et l’accessibilité aux personnes handicapées, d’améliorer l’habitat existant, de favoriser la rénovation énergétique des bâtiments et de prendre en charge une partie des dépenses de logement en tenant compte de la situation de famille et des ressources des occupants. Elle doit tendre à favoriser une offre de logements qui, par son importance, son insertion urbaine, sa diversité de statut d’occupation et de répartition spatiale, soit de nature à assurer la liberté de choix pour toute personne de son mode d’habitation.
II. – Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité pour accéder à un logement décent et indépendant ou s’y maintenir. »
[3] Réponse du Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie publiée dans le JO Sénat du 14/07/2005 – page 1897