L’harmonisation des juridictions judiciaires et administratives en matière de responsabilité médicale et hospitalière
Le régime unique posé par la loi du 4 mars 2002 en matière de responsabilité médicale et hospitalière, a amené les hautes juridictions à harmoniser leurs positions dont voici les plus récentes.
1. Sur les conditions permettant d’ouvrir droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale
En application de l’article L. 1142-11 II du code de la santé publique, la réparation par la solidarité nationale implique, en l’absence de toute responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé, que trois conditions cumulatives soient remplies :
–l’imputabilité directe des préjudices aux actes de soins,
–les conséquences anormales de ces préjudices au regard de l’état de santé du patient comme de l’évolution prévisible de celui-ci,
–le caractère de gravité de ces préjudices, fixé par décret (article D. 1142-1 du code de la santé publique)
L’absence de définition de l’anormalité du dommage laissait aux juges le soin d’en poser les critères d’appréciation.
Par arrêts des 15 et 29 juin 2016 (cass. 1ère civ. 15 juin 2016, n°15-16824 ; cass. 1ère civ. 29 juin 2016, n°15-18275), la Cour de cassation a désormais aligné sa position sur celle issue des arrêts du Conseil d’Etat rendus le 12 décembre 2014 (CE, 12 décembre 2014, M. Bondoni n°355052, Rec. 385 ; CE 12 décembre 2014 Bourgeois n°365211) en jugeant :
« Attendu que la condition d’anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l’absence de traitement ; que dans le cas contraire, les conséquences de l’acte médical ne peuvent être considérées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ; qu’ainsi elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l’état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l’origine du dommage ».
Ainsi, le premier critère d’appréciation impose de rechercher ce qu’aurait été de manière suffisamment probable l’état du patient en cas d’abstention thérapeutique et d’apprécier si les conséquences de l’intervention « sont notablement plus graves ».
Le deuxième critère, apprécié à défaut c’est-à-dire si le premier critère n’est pas rempli pour retenir l’anormalité, implique d’apprécier in concreto si le dommage résulte de la réalisation d’un risque faible de l’intervention, en identifiant le risque dont la réalisation est à l’origine de l’accident et sa fréquence compte tenu de l’état de santé de la victime et des circonstances de l’intervention.
Ces critères posés, l’appréciation relève des juges du fond au cas par cas. Le contrôle de la Cour de cassation comme du Conseil d’Etat consistera à vérifier que les juges d’appel ont bien procédé aux recherches et comparaisons leur permettant de répondre à l’alternative posée en principe. Les juges du fond tireront le plus souvent des rapports d’expertise les éléments pour se déterminer et vérifier, en fonction du double test des critères alternatifs posés, si la condition d’anormalité ouvrant droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale est ou non remplie.
2. Sur l’étendue du devoir d’information
L’article L.1111-2 al. 1er du code de la santé publique précise
« Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l’exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d’impossibilité de la retrouver ».
Cette rédaction laissait place à une interrogation concernant l’information sur les risques exceptionnels. En effet, la jurisprudence antérieure à la Loi du 4 mars 2002 retenait que le professionnel de santé n’est pas dispensé de son obligation d’information par le seul fait que ces risques ne se réalisent qu’exceptionnellement – (Cass. civ. 1ère 7 octobre 1998, n°97-10267 – CE 5 janvier 2000 Telle n°181899), or l’article L. 1111-2 précité vise « les risques fréquents ou graves normalement prévisibles ». Si les juridictions du fond tendaient à exiger l’information du risque dès lors qu’il était connu ceci qu’il soit exceptionnel ou non, ni la Cour de cassation ni le Conseil d’Etat n’avaient encore pris position.
C’est désormais chose faite et de concert.
La Cour de cassation dans un arrêt du 12 octobre 2016 (n°15-16894) considère :
« un risque grave scientifiquement connu à la date des soins comme étant en rapport avec l’intervention ou le traitement envisagés, constitue, même s’il ne se réalise qu’exceptionnellement, un risque normalement prévisible ».
Le Conseil d’Etat dans un arrêt du 19 octobre 2016 (n°391538) précise :
« la circonstance qu’un risque de décès ou d’invalidité répertorié dans la littérature médicale ne se réalise qu’exceptionnellement ne dispense pas les médecins de le porter à la connaissance du patient ».
On ne peut que louer cette harmonisation, même s’il reste encore quelques divergences de position notamment dans le cas de l’utilisation de produits défectueux ou en matière de réparation des préjudices corporels.