Le Conseil Constitutionnel a tranché : les doubles poursuites en matière de pénal boursier sont inconstitutionnelles
Le 18 mars 2015, le Conseil Constitutionnel a rendu une décision d’une importance considérable en matière de doubles poursuites au sein de l’ordre juridique français[1].
Cette décision est intervenue dans le cadre des procédures de QPC initiées dans les affaires pénales EADS et Oberthur.
Elle était attendue non seulement par les personnes mises en cause à l’origine des QPC, mais également par l’Autorité des marchés financiers, le Parquet national financier, les magistrats instructeurs du Pôle financier, la nouvelle 32ème Chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris, la Cour d’appel de Paris et enfin, la Chambre criminelle de la Cour de cassation.
Peut-on toujours poursuivre deux fois, devant la Commission des sanctions de l’AMF et devant le juge pénal, les personnes suspectées d’avoir commis des infractions en matière boursière, telles que les manquements d’initiés ?
Le Conseil Constitutionnel vient de répondre par la négative, en considérant que les sanctions prévues, d’une part en cas de manquement d’initié (sanctionné par l’AMF) et, d’autre part, en cas de délit d’initié (puni par le juge pénal), étaient de même nature :
« 26. […] que, si seul le juge pénal peut condamner l’auteur d’un délit d’initié à une peine d’emprisonnement lorsqu’il s’agit d’une personne physique et prononcer sa dissolution lorsqu’il s’agit d’une personne morale, les sanctions pécuniaires prononcées par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers peuvent être d’une très grande sévérité et atteindre, selon les dispositions contestées de l’article L. 621-15, jusqu’à plus de six fois celles encourues devant la juridiction pénale en cas de délit d’initié ; qu’en outre, en vertu du paragraphe III de l’article L. 621-15, le montant de la sanction du manquement d’initié doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements et, en vertu de l’article 132-24 du code pénal, la peine prononcée en cas de condamnation pour délit d’initié doit être prononcée en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ; qu’il résulte de ce qui précède que les faits prévus par les articles précités doivent être regardés comme susceptibles de faire l’objet de sanctions qui ne sont pas de nature différente ;
[…]
- Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les sanctions du délit d’initié et du manquement d’initié ne peuvent, pour les personnes autres que celles mentionnées au paragraphe II de l’article L. 621-9 du code monétaire et financier, être regardées comme de nature différente en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction ; que, ni les articles L. 465-1 et L. 621-15 du code monétaire et financier, ni aucune autre disposition législative, n’excluent qu’une personne autre que celles mentionnées au paragraphe II de l’article L. 621-9 puisse faire l’objet, pour les mêmes faits, de poursuites devant la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers sur le fondement de l’article L. 621-15 et devant l’autorité judiciaire sur le fondement de l’article L. 465-1 ; que, par suite, les articles L. 465-1 et L. 621-15 méconnaissent le principe de nécessité des délits et des peines ; que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, l’article L. 465-1 du code monétaire et financier et les dispositions contestées de l’article L. 621-15 du même code doivent être déclarés contraires à la Constitution ; qu’il en va de même, par voie de conséquence, des dispositions contestées des articles L. 466-1, L. 621-15-1, L. 621-16 et L. 621-16-1 du même code, qui en sont inséparables ; »
Si l’abrogation générale de ces articles est reportée au 1er septembre 2016, le Conseil Constitutionnel a tout de même prévu l’arrêt immédiat des procédures en cours :
« 36. Considérant, d’autre part, qu’afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, des poursuites ne pourront être engagées ou continuées sur le fondement de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier à l’encontre d’une personne autre que celles mentionnées au paragraphe II de l’article L. 621-9 du même code dès lors que des premières poursuites auront déjà été engagées pour les mêmes faits et à l’encontre de la même personne devant le juge judiciaire statuant en matière pénale sur le fondement de l’article L. 465-1 du même code ou que celui-ci aura déjà statué de manière définitive sur des poursuites pour les mêmes faits et à l’encontre de la même personne ; que, de la même manière, des poursuites ne pourront être engagées ou continuées sur le fondement de l’article L. 465-1 du code monétaire et financier dès lors que des premières poursuites auront déjà été engagées pour les mêmes faits et à l’encontre de la même personne devant la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers sur le fondement des dispositions contestées de l’article L. 621-15 du même code ou que celle-ci aura déjà statué de manière définitive sur des poursuites pour les mêmes faits à l’encontre de la même personne, »
Il appartient à présent au législateur de repenser l’ensemble de la procédure de poursuites des délits d’initiés, de leur poursuite jusqu’à leur jugement.
[1] http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2015/2014-453/454-qpc-et-2015-462-qpc/decision-n-2014-453-454-qpc-et-2015-462-qpc-du-18-mars-2015.143440.html