L’Autorité de la Concurrence a rendu le 4 avril 2019 un avis relatif aux secteurs de la distribution du médicament en ville et de la biologie médicale privée.
Par Margaux Frisque et Bertrand Haut de Sigy
Les principaux axes de réflexions concernent notamment la réglementation en matière de vente en ligne, de publicité, de financement des structures d’exercice et l’assouplissement du monopole officinal au profit de la grande distribution et des parapharmacies, s’agissant de la vente des médicaments à prescription médicale facultative.
Face à une rentabilité financière du secteur en diminution, la démarche vise à « moderniser le modèle économique des pharmaciens pour qu’ils puissent plus facilement financer leur activité et se développer »[1].
Vente en ligne. La règlementation actuelle ne semble pas, selon l’Autorité de la Concurrence, permettre aux pharmaciens ou aux patients de jouir pleinement de cette possibilité d’acheter des médicaments à prescription facultative en ligne.
Et pour cause, en France, les pharmacies ne peuvent recourir à des locaux de stockage éloignés de l’officine. Ils sont, de plus, tenus de communiquer dans un cadre jugé trop strict, par exemple s’agissant de la taille de la police utilisée ou l’interdiction de référencement. De ce fait, cela conduit à un sous-développement de l’activité de vente en ligne de médicaments, méconnue en France.
L’Autorité de la Concurrence préconise d’autoriser le recours à des locaux de stockage plus éloignés de l’officine, d’autoriser les pharmaciens à regrouper leur offre de vente en ligne pour augmenter leur rentabilité, et de revoir les conditions d’application desdites tranches de 1,3 millions d’euros conduisant au recrutement obligatoire d’un pharmacien adjoint, sans prendre en compte la parapharmacie.
Publicité. Afin de faire face à la concurrence émanant des grandes surfaces, qui traditionnellement apparaissent plus libres et plus agressives lors de la vente de produits cosmétiques ou de parapharmacie, l’Autorité de la Concurrence propose de réviser la règlementation applicable aux pharmacies en matière de publicité.
Sont proposés quatre axes de réforme : la suppression des notions déontologiques jugées floues que sont la « sollicitation de clientèle » et la « dignité de la profession » ; l’assouplissement du régime applicable à la publicité en faveur de certains produits ; l’assouplissement du régime applicable à la publicité en faveur de l’officine et enfin, l’accroissement de la transparence sur les prix.
Ainsi, l’Autorité de la concurrence relève notamment que « l’article R. 4235-58 du Code de la santé publique encadre par des notions floues la publicité des produits dont la vente n’est pas réservée aux pharmaciens, celle-ci devant être « loyale », présentée « sur un support conforme à la dignité de la profession » ou encore observer « tact et mesure ». S’il apparaît justifié d’encadrer strictement la publicité sur les médicaments afin d’en éviter la consommation abusive et le mésusage, des restrictions apportées à la publicité de produits autres que les médicaments (comme les produits de parapharmacie, les produits cosmétiques, etc.) n’apparaissent justifiées par aucun motif de protection de la santé publique, et semblent disproportionnées au regard du niveau de dangerosité de ces produits ».
Financement des pharmaciens. C’est à juste titre que l’Autorité de la Concurrence rappelle que « le cadre légal applicable en matière de détention de capital des officines françaises contrait fortement leurs possibilités de financement »[2]. Outre les contraintes administratives qu’impliquent les démarches auprès des Ordres régionaux (inscription aux tableaux, délais, etc.) un pharmacien ne peut être propriétaire que d’une seule officine[3] (gestion en nom propre, en société, etc.) et ne peut détenir des participations minoritaires que dans un nombre limité d’officine.
En effet, selon l’article R5125-18 du Code de la santé publique, « un pharmacien titulaire ne peut détenir des participations directes ou indirectes que dans quatre sociétés d’exercice libéral de pharmaciens d’officine autres que celle au sein de laquelle il exerce ».
Alors que l’Ordre national des pharmaciens estime « qu’une ouverture du capital des officines est de nature à engendrer des effets négatifs »[4], l’avis met en avant plusieurs scénarii, envisageant l’augmentation du nombre de participations minoritaires, jusqu’à l’ouverture du capital à des investisseurs extérieurs.
Dans le cadre d’une ouverture à des investisseurs extérieurs minoritaires[5], il serait envisagé d’ouvrir la détention d’une part minoritaire du capital des officines à des investisseurs autres que des pharmaciens. Ces investisseurs non-pharmaciens pourraient ainsi détenir jusqu’à 49,99 % du capital des SEL de pharmaciens. Les droits de vote et détention de capital ne seraient pas dissociés, si bien que le pharmacien titulaire conserverait le contrôle majoritaire et la gestion de l’officine. « Son autonomie de décision serait également préservée », ajoute l’Autorité de la concurrence.
Monopole officinal. « Au bénéfice du pouvoir d’achat des patients » et à l’instar de plusieurs pays européens, l’Autorité de la Concurrence propose un assouplissement partiel et strictement encadré du monopole officinal régi par les articles L4211-1 et suivants du Code de la santé publique[6], au profit des grandes et moyennes surfaces et de parapharmacies.
Cette ouverture « devrait être de nature à apporter un ensemble de bienfaits économiques aux patients, sans pour autant altérer les garanties de santé publique devant entourer la dispensation de ces produits »[7].
Hors les médicaments à prescription médicale obligatoire, seuls les médicaments à prescription médicale facultative seraient concernés, ainsi que les dispositifs médicaux de diagnostics in vitro, comme les lecteurs de glycémie ou les tests de dépistage du VIH, mais encore certaines plantes médicinales et huiles essentielles[8].
Afin de garantir les impératifs liés à la santé publique, un pharmacien diplômé serait chargé de la délivrance de ces médicaments : « il apparaît souhaitable de maintenir strictement le monopole de délivrance du pharmacien destiné à assurer au mieux la sécurité de l’acte de dispensation, en prévoyant la présence obligatoire d’un docteur en pharmacie sur les lieux de vente et sur toute l’amplitude horaire d’ouverture, conformément au modèle adopté en Italie »[9].
Enfin, l’Autorité de la concurrence préconise que ces ventes soient effectuées dans un espace dédié, doté d’une caisse distincte.
[1] http://www.autoritedelaconcurrence.fr/user/standard.php?lang=fr&id_rub=696&id_article=3382
[2] Avis n°19-A-2019, Section V, page 150
[3] Article L5125-11 du Code de la santé publique
[4] Avis n°19-A-2019, Section V, page 171
[5] Scénario n°3 sur 4
[6] L’article L. 5125-1 du même code dispose par ailleurs que la dispensation au détail ne peut intervenir que dans l’officine, laquelle est obligatoirement détenue par un ou plusieurs pharmaciens (monopole officinal).
[7] Avis n°19-A-2019, Section VI, page 204
[8] Liste fixée par l’article D. 4211-13 du Code de la santé publique
[9] Avis n°19-A-2019, Section VI, page 205