Grève des scénaristes et acteurs : clap de fin à Hollywood, poursuite de la mobilisation en France
Les efforts ont fini par payer. Après des mois de lutte acharnée, marqués par des manifestations et des négociations à couteaux tirés, la grève historique des scénaristes et des acteurs américains a finalement pris fin.
Le 24 septembre dernier, la Writers Guild of America (WGA), le syndicat représentant les scénaristes américains, a conclu un accord historique avec l’AMPTP, le syndicat des studios de cinéma et des plateformes de streaming. Trois jours plus tard, la fin de la grève est annoncée, en attendant la ratification de l’accord.
Plus d’un mois après, le 9 novembre, les acteurs sont également parvenus à un accord, mettant fin à la plus longue grève d’Hollywood.
Alors qu’Hollywood s’apaise, l’industrie audiovisuelle française a exprimé son mécontentement à travers une mobilisation initiée par le SPIAC-CGT, le SNTPCT et la CFTC Media+. Les 15 et 16 novembre derniers, ces syndicats ont appelé à la grève contre le refus des producteurs de reprendre les négociations salariales, les employés demandant une revalorisation des salaires de 20%. Les syndicats s’opposent également à la réforme de l’assurance chômage des intermittents du spectacle, plaidant pour le maintien du régime actuel. Cette mobilisation a déjà eu des répercussions sur la production et la post-production de films et de séries françaises, avec l’interruption de tournages tels que la quatrième saison de HPI, le spin-off de The Walking Dead, la série Marie-Antoinette pour Canal+, ainsi que l’adaptation en série du roman « Les Enfants sont rois » de Delphine de Vigan.
Revenons sur la chronologie du mouvement social hollywoodien de grande ampleur.
3 mai 2023 : début d’une grève historique
Pour rappel, le 3 mai 2023, la WGA lançait un mouvement de grève sans précédent, réclamant de profonds changements de la part de l’AMPTP. Dans le même sillage, la SAG-AFTRA (le syndicat des acteurs) a rejoint le mouvement en paralysant l’industrie du cinéma et de la télévision.
Pendant près de cinq mois, la machine hollywoodienne s’est retrouvée à l’arrêt. La production de plusieurs séries, telle que l’attendue saison 5 de Stranger Things, a été interrompue, de même que toutes les émissions télévisées et talkshow pour lesquelles des scénaristes créent des monologues et des blagues pour leurs animateurs. Pour réduire les coûts, les agences artistiques ont licencié leurs employés et les studios ont suspendu leurs accords avec les principaux producteurs.
24 septembre 2023 : fin de la grève des scénaristes
La WGA, qui représente plus de 11 000 scénaristes, a voté quasi-unanimement la ratification d’un accord de trois ans avec les studios hollywoodiens.
Cet accord promouvrait « des gains significatifs et des protections pour les scénaristes dans tous les secteurs d’activité des membres » selon les syndicats. Bien que l’accord ne soit pas encore publié, un protocole d’entente simplifié (« MOA »)[1] a donné un aperçu des concessions obtenues dans plusieurs domaines.
Ces gains comprennent l’augmentation du salaire minimum, des taux des caisses de retraite et de santé, ainsi que l’amélioration des conditions d’emploi et de la taille des équipes.
L’une des avancées majeures est la création de nouveaux revenus résiduels pour les contenus disponibles sur les plateformes de streaming à gros budget. Alors que l’ancienne convention prévoyait une redevance annuelle fixe qui tenait compte du nombre d’abonnés de la plateforme, ce nouvel accord prend en compte l’audience calculée en heures de streaming national de la saison ou du film divisées par la durée du film ou de la série. Le calcul des revenus résiduels concernant le streaming à l’étranger a également été renégocié favorablement.
L’accord encadre également l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA), enjeu majeur des négociations. Il prévoit qu’un système d’IA générative ne peux écrire ou réécrire du matériel/contenu littéraire, ni être considéré comme du matériel source afin de ne pas porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle des scénaristes et au respect de leur œuvre. L’accord autorise le scénariste à utiliser un système d’IA dans le cadre de son travail si la société y consent et à condition que le scénaristerespecte les politiques mises en place par la société. Toutefois, une société ne peut exiger d’un scénaristequ’il utilise un système d’IA dans le cadre de ses services. La société peut également rejeter l’utilisation d’un système d’IA, notamment en cas de doute sur la possibilité de bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur pour le contenu produit ou pour sa capacité à exploiter le contenu.
Il est aussi prévu que la société doive informer le scénariste si les documents qui lui sont remis, ou les éléments qu’ils comportent, ont été générés par un système d’IA.
Une autre victoire pour les scénaristes est l’introduction dans le nouvel accord d’une obligation des studios à gros budget d’embaucher un nombre minimum de scénaristes pour une durée minimale de travail.
Ces dispositions visent à garantir aux scénaristes une sécurité de l’emploi, de meilleures conditions de travail et que leurs contributions créatives soient reconnues et équitablement rémunérées face à l’évolution des technologies. D’importantes garanties ont aussi été accordées aux acteurs américains.
[1] https://www.wga.org/contracts/contracts/mba/summary-of-the-2023-wga-mba
9 novembre 2023 : fin de la grève des acteurs
Plus d’un mois après la réouverture des salles de scénaristes, les acteurs ont également fini par trouver un compromis avec les grands studios, en étant entendus sur certaines de leurs revendications.
Pour sortir de l’impasse, les studios ont agréé une augmentation d’environ 8 % du salaire minimum : c’est la plus forte augmentation depuis des décennies, même si elle reste en deçà des revendications initiales des acteurs.
L’accord inclus également, pour la première fois, un système de primes proportionnelles au succès d’une œuvre sur les plateformes de streaming. Ce système offre une réponse aux craintes des acteurs qui n’arrivaient plus à gagner correctement leur vie à l’ère du streaming. En effet, contrairement aux diffusions télévisées qui sont rémunérées proportionnellement aux chiffres d’audience, une œuvre diffusée en streaming faisait l’objet d’un paiement forfaitaire, indépendamment du succès du programme.
Enfin, l’accord offre des garanties face à l’usage de l’IA, un autre cheval de bataille important des négociations. Les acteurs ont exprimé pour la première fois des craintes dans leur négociation, par rapport à l’emploi de l’IA dans leurs corps de métiers, notamment pour cloner leur image sans consentement ou à moindre rémunération. Cette inquiétude est d’ailleurs au cœur de l’intrigue d’un épisode récent de Black Mirror dans lequel Salma Hayek vit un cauchemar en découvrant qu’elle a cédé les droits de son image d’IA. Et pour accentuer le tout, Meta a profité de la période de grève pour filmer des acteurs sous plusieurs angles, et contre rémunération, afin d’entraîner une IA à créer des avatars réalistes. Le film The Flash avait semé la controverse en utilisant des deepfakes pour faire apparaitre des acteurs décédés à l’écran. Pour la présidente du syndicat, Fran Drescher, il fallait se saisir du sujet parce qu’« une année correspond à trois mois dans le monde de l’IA».
Avec cet accord, un acteur devra toucher le même salaire pour l’utilisation de son clone numérique que celui qu’il aurait reçu en effectuant lui-même la même « quantité de travail ». Quant aux figurants, « aucune réplique numérique ne peut être utilisée pour se soustraire à la participation et au paiement d’un acteur de second plan »[1]. Les studios doivent également obtenir le consentement d’un acteur ou de ses ayants droit à chaque fois qu’il utilise son clone numérique et le contrat doit fournir une « description raisonnablement précise » de la manière dont il sera utilisé.
C’était la première fois depuis plus de 60 ans que les scénaristes et les acteurs se mettaient en grève en même temps. Celle-ci aurait coûté à l’économie américaine environ 6 milliards de dollars, selon une estimation de l’économiste du Milken Institute, Kevin Klowden. C’est le prix qu’aura coûté le happy-end.
[1] Selon le directeur exécutif national et négociateur en chef de SAG-AFTRA, Duncan Crabtree-Ireland
Avocate associée – Attorney at law, Partner
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