Force probante limitée d’un rapport d’expertise amiable nonobstant son caractère contradictoire à toutes les parties
Par Clémence Lemétais
(cass. 2ème civ., 13 sept. 2018, n°17-20.099)
La Cour de cassation juge depuis de nombreuses années, au visa de l’article 16 du code de procédure civile relatif au principe du contradictoire, qu’une condamnation ne peut être prononcée à l’encontre d’une partie sur le seul fondement d’une expertise réalisée à la demande de l’une des parties quand bien même ledit rapport d’expertise amiable a été soumis à la discussion contradictoire (cass. ch. mixte, 28 sept. 2012, n°11-18.710 : Bulletin 2012, Chambre mixte, n° 2 ; cass. 2ème civ. 15 oct. 2015, n°14-22.989).
Par un arrêt du 13 septembre 2018 (cass. 2ème civ., 13 sept. 2018, n°17-20.099), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation non seulement réaffirme ce principe mais le renforce également en le jugeant applicable quand bien même la partie à l’encontre de laquelle est opposé le rapport amiable était présente aux opérations d’expertise.
Dans cette affaire, un accident était survenu au cours d’un chantier à la suite de la rupture de l’axe de rotation arrière droit de la benne d’une semi-remorque. Pour retenir la responsabilité du loueur de la semi-remorque, les juges du fond s’étaient fondés sur une expertise amiable réalisée à la demande d’une partie – la société qui assurait la semi-remorque – étant précisé que le loueur était présent à cette mesure d’expertise. La cour d’appel de Pau avait ainsi jugé « que la qualité de l’expertise de M. A…, réalisée lors d’opérations menées contradictoirement, confère à ses conclusions une force qui ne peut être ignorée d’autant qu’aucun autre élément, ni pièces ni expertise complémentaire, n’est produit, en particulier par la société H., de nature à les contrecarrer ».
Cet arrêt est censuré par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation au visa de l’article 16 du code de procédure civile au motif que les juges du fond se sont exclusivement fondés sur une expertise non judiciaire, peu important, précise la Cour de cassation, le fait qu’elle ait été réalisée en présence des parties.
Ainsi, même si un rapport d’expertise amiable peut valoir à titre de preuve dès lors qu’il est soumis à la libre discussion des parties (cass. 2ème civ., 14 sept. 2006, n°05-14.333 : Bull. 2006 II n° 225 p. 212), un tel rapport est insuffisant pour justifier une condamnation et il appartient à la partie qui se prévaut du rapport d’expertise amiable de rapporter des éléments concordants dans le sens du rapport amiable.
Un autre arrêt récent de la Cour de cassation a statué sur la portée d’un rapport d’expertise, judiciaire cette fois et a rappelé, toujours au visa de l’article 16 du code de procédure civile, le principe selon lequel « un rapport d’expertise judiciaire n’est opposable à une partie que lorsqu’elle a été appelée ou représentée au cours des opérations d’expertise » (cass. 1ère civ., 11 juill. 2018, n°17-17.441 et 17-19.581). La première chambre civile de la Cour de cassation a néanmoins jugé que dès lors qu’il a été régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties, un rapport d’expertise judicaire doit être pris en considération par le juge mais que dans ce cas, il appartient au juge « de rechercher s’il est corroboré par d’autres éléments de preuve ». A ainsi été cassé l’arrêt d’appel qui avait jugé qu’il ne pouvait être statué sur la responsabilité d’une société qui n’avait pas été représentée au cours des opérations d’expertise judiciaire.
Ces arrêts illustrent le principe selon lequel la force probante d’un rapport d’expertise amiable est bien inférieure à celle d’un rapport d’expertise et ce, quand bien même la partie à qui est opposé le rapport d’expertise amiable a participé aux opérations d’expertise amiable.
L’arrêt du 11 juillet 2018 rappelle, quant à lui, le principe qui n’est pas nouveau selon lequel un rapport d’expertise judiciaire ne peut, malgré sa force probante supérieure à celle d’un rapport d’expertise amiable, justifier à lui seul la condamnation d’une partie si celle-ci n’a pas été appelée ou représentée aux cours des opérations d’expertise.