Fondation actionnaire à la française – La création du cadre juridique des fonds de pérennité est annoncée dans le projet de loi PACTE adopté par l’Assemblée Nationale en première lecture
Par Laetitia Squercioni
Un article additionnel (61 octies) a été inséré en commission dans le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises qui a été adopté le 9 octobre en première lecture par l’Assemblée Nationale. Cet article créé un nouvel outil juridique de détention et de transmission du capital des sociétés : le fonds de pérennité (ci-après le « FDP »).
La prochaine étape sera l’examen en commission spéciale de ce projet devant le Sénat à qui le texte a été transmis le 10 octobre.
Le FDP s’inscrit dans le paysage des fondations qui comprend notamment les fondations reconnues d’utilité publique (FRUP), les fondations d’entreprises ou encore les fonds de dotation, en en complétant la gamme par ses objectifs qui diffèrent de ceux des véhicules qui existent déjà.
Fonds de dotation et fonds d’entreprise ne peuvent avoir qu’un objectif d’intérêt général ; la FRUP peut quant à elle associer un objectif d’intérêt général à un objectif économique mais dans un cadre juridique très contraignant.
Le FDP aura pour objectif quant à lui de recevoir à titre gratuit et irrévocable des titres de capital d’une ou plusieurs sociétés afin de les gérer, d’exercer les droits attachés à ces titres et d’utiliser ses ressources dans un but de contribuer à la pérennité économique et au développement des sociétés concernées sur une longue période tout en ayant la possibilité de réaliser ou financer des œuvres ou des missions d’intérêt général.
Le FDP pourra notamment être utilisé pour permettre la préservation du capital d’une entreprise, le maintien des emplois (prévenir d’éventuelles délocalisations) et le développement de ses activités, lorsque par exemple son fondateur, proche du départ à la retraite, ne souhaite pas vendre son entreprise ni la transmettre à ses héritiers dont il n’est envisagé ni par lui ni par eux qu’ils dirigent l’entreprise, ou n’a tout simplement pas d’héritiers.
Le fondateur pourra dans ce cadre également céder sa place de dirigeant progressivement tout en continuant à diriger l’entreprise dans une première phase.
Les statuts du FDP devront mentionner dans son objet l’indication des principes et objectifs appliqués à la gestion active des participations apportées au FDP et à l’exercice des droits attachés aux titres, dans le respect des valeurs que les fondateurs auront inscrites dans les statuts du FDP, ainsi que les actions envisagées dans le cadre de l’utilisation de ses ressources.
Dans un objectif de protection du capital de la société, les titres apportés en dotation au FDP seront en principe inaliénables sauf en cas de contrôle de la société par le FDP auquel cas l’apporteur ou le fondateur lors de la libéralité ou le conseil d’administration lors d’une acquisition, peuvent décider que cette inaliénabilité ne frappe pas tous les titres, dans la limite de la quotité du capital social nécessaire à l’exercice de ce contrôle. De même, si la pérennité économique de l’entreprise l’exige, le FDP pourrait être judiciairement autorisé à céder des titres frappés d’inaliénabilité.
Ainsi, le FDP, fortement inspiré des modèles de structures des fondations actionnaires adoptées par de grands groupes industriels en Europe du nord notamment (Bosch, Rolex, ou Lego notamment), constituera, pour les entrepreneurs actionnaires en phase de réflexion sur la transmission de leur entreprise, un outil permettant de pérenniser leur entreprise dans une logique économique éventuellement complétée par un objectif d’intérêt général.
A la différence des fondations et fonds de dotation qui ont une finalité philanthropique ou d’intérêt général, le FDP aura en premier lieu une finalité économique qui est de garantir la stabilité des entreprises sur le long terme. Le FDP ne constituera donc pas une entité sans but lucratif.
Il en découle que contrairement aux fonds de dotation et fondations, le FDP sera assujetti à l’ensemble des impôts commerciaux (IS, TVA, etc….) et que les « dons » de titres qui seront réalisés par les fondateurs au profit d’un FPE seront soumis aux droits de mutation à titre gratuit mais bénéficieront d’un régime d’exonération partielle de 75 % de la valeur des titres (dans les conditions du pacte Dutreil) et de réductions de droits de 50 % lorsque la donation est faite en pleine propriété et que le donateur est âgé de moins de 70 ans au jour de la donation.
La fiscalité du FDP sur les dividendes reçus serait très faible en termes d’impôt sur les sociétés, si les conditions d’application du régime mère fille sont réunies.
Ainsi, certains fondateurs de groupes familiaux auront la possibilité désormais de se déposséder des titres de leur société de leur vivant, ou de les confier à leur mort à un FDP (le FDP pouvant comme le fonds de dotation être créé au décès), au lieu de les transmettre à leurs enfants. Les dividendes versés constitueront les ressources du FDP qu’il pourra affecter à des projets philanthropiques.
Une réflexion sur le sort de la réserve héréditaire doit cependant encore être menée, puisqu’en l’état actuel des textes, un actionnaire ne pourra transférer à titre gratuit ses titres au FDP sans respecter le principe de la réserve héréditaire, sauf à ce que les héritiers lèvent eux-mêmes la réserve héréditaire.
Enfin, la constitution du FDP sera simple, comparée à la FRUP, puisqu’à l’instar des fonds de dotation, elle résultera d’une déclaration à la préfecture assortie du dépôt de ses statuts et le FPE obtiendra la personnalité morale à compter de la publication de cette déclaration en préfecture.
A l’image du fonds de dotation (et contrairement à la FRUP) la gouvernance du FDP sera libre et le fondateur pourra en conserver la maîtrise.
Le projet de loi prévoit seulement que le FDP sera administré par un conseil d’administration d’au moins trois membres nommés pour la première fois par le fondateur (ou désignés par le testateur) et que les statuts devront prévoir la création, auprès du conseil d’administration, d’un comité de gestion, composé d’au moins un membre du conseil d’administration et de deux membres non membres de ce conseil, chargé principalement du suivi permanent de la ou des sociétés dont les titres sont transférés au FDP et de formuler des recommandations au conseil d’administration portant sur la gestion financière de la dotation, sur l’exercice des droits attachés aux titres ou parts détenus ainsi que sur les actions, et les besoins financiers associés, permettant de contribuer à la pérennité économique de ces sociétés.
Il est également prévu que les fondateurs du FDP pourront, aux fins de réaliser ou financer tout ou partie des missions d’intérêt général du FDP, créer un fonds de dotation adossé au FDP qui sera soumis aux dispositions de l’article 140 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 sous réserve de certaines dérogations.
Enfin, le projet de loi Pacte apporte par ailleurs un assouplissement aux fondations actionnaires constituées sous forme de FRUP puisque son article 61 nonies A, tout en maintenant le principe de spécialité propre aux FRUP, permettrait à une FRUP de combiner intérêt général et gestion active en prévoyant de modifier la loi n° 87571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat en son article 18-3 pour préciser que lorsque les parts ou actions d’entreprises transférées à la FRUP lui confèrent le contrôle de la société, les statuts de la FRUP précisent le cadre juridique par lequel la fondation exerce ses droits au sein de la société sans s’immiscer dans sa gestion et indiquent les conditions dans lesquelles la fondation se prononce notamment sur l’approbation des comptes de la société, la distribution de ses dividendes, etc… .
Il est simplement rappelé qu’à ce jour il n’existe que quatre FRUP actionnaires : Avril, le Laboratoire Mérieux, Pierre Fabre et Varenne.