Droit fondamentaux en temps troublés – Le règlement européen sur la liberté des médias entre en vigueur

25/06/2024

Pluralisme et indépendance des médias, protection des journalistes et circulation des services de médias sont les principaux points régis par ce règlement européen, entré en vigueur le 7 mai 2024, et dont les règles s’appliqueront pleinement à partir du 8 aout 2025.

La vitalité d’une démocratie se mesure en grande partie par la capacité de ses institutions, autorités et juridictions à défendre efficacement les droits fondamentaux. Que ce soit au niveau local ou international, il est crucial que les droits constitutionnels soient respectés à travers des dispositifs juridictionnels. Ainsi, au niveau national, rappelons la décision du 13 février dernier du Conseil d’État saisi par l’association Reporters sans frontières, qui a donné à l’Autorité de Régulation de la Communication Audiovisuelle et Numérique (ARCOM) des nouvelles clés afin qu’elle garantisse le respect de l’indépendance et du pluralisme de l’information. Cette exigence de protection s’étend également au niveau international, où la régulation des médias doit transcender les frontières locales. C’est donc dans cette optique que le « Media Freedom Act » a été adopté, illustrant une volonté commune de renforcer la liberté des médias à l’échelle globale.

Le Règlement sur la liberté des médias, entré en vigueur le 7 mai 2024, vise à protéger le pluralisme et l’indépendance des médias en imposant des obligations de transparence et d’indépendance éditoriale aux fournisseurs de services médiatiques. De plus, il encadre strictement les très grandes plateformes en ligne, comme Facebook et Instagram, pour garantir la protection des contenus d’information et la transparence de leurs pratiques de modération.

Selon l’Observatoire de l’Unesco, 86 journalistes et professionnels des médias ont été tués en 2022[1], contre 45 journalistes tués en 2023, d’après l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF)[2]. Bien qu’en baisse, ces chiffres ont alarmé les institutions européennes qui ont souhaité renforcer la liberté et le pluralisme des médias face aux pressions politiques et économiques.

Elles ont donc récemment adopté un corps de règles visant à protéger les médias. Après la directive contre les poursuites stratégiques altérant le débat public, communément appelées « poursuites-bâillons »[3], adoptée par le Parlement européen le 27 février 2024, c’est au tour du Règlement sur la liberté des médias de passer sur le devant de la scène, adopté par le Conseil de l’Union européenne le 26 mars 2024 et en vigueur depuis le 7 mai 2024.

Face, d’une part, à une tendance de diminution du pluralisme et une augmentation des concentrations de services de médias dans certains pays de l’Union européenne, et d’autre part, à une mutation de ce secteur, notamment au regard de l’importance croissante des médias numériques le texte se concentre sur la protection du pluralisme et la liberté des médias (I), mais veille également à prévoir un encadrement spécifique des fournisseurs de services médias sur les très grandes plateformes (II).

I) La protection du pluralisme et de la liberté des médias

Le Règlement promeut un accès libre à une pluralité de contenus médiatiques « dans l’intérêt d’un discours libre et démocratique[4] ».

Les obligations des fournisseurs de services de médias. A cet effet, le règlement impose des obligations aux fournisseurs de services de médias[5], notamment en matière de transparence sur la propriété des médias, y compris s’ils appartiennent directement ou indirectement à l’Etat, ou sur le montant annuel total des fonds publics alloués pour la publicité d’État qui leur est attribué. Ils devront également présenter des garanties d’indépendance éditoriale et de divulgation des conflits d’intérêts potentiels ou réels. Pour les médias du service public, dont l’indépendance est parfois mise à mal, ledit règlement prévoit des mesures visant à assurer l’impartialité, un financement adéquat et une nomination transparente et non discriminante des dirigeants[6].

Les obligations des autorités étatiques. Le règlement impose aussi aux Etats membres de respecter la liberté éditoriale et l’indépendance effectives des fournisseurs de services de médias. Ils ne peuvent en aucun cas s’immiscer dans leur ligne éditoriale ni tenter de les influencer[7]. Ils ont également l’interdiction de les détenir, les sanctionner, les perquisitionner ou encore de les surveiller à l’aide de logiciels espions pour qu’ils révèlent leurs sources[8]. L’utilisation de tels logiciels restera toutefois possible pour des raisons de sécurité nationale ou dans le cadre d’enquêtes sur des infractions pénales graves, comme le terrorisme, sur autorisation d’une autorité judiciaire. Enfin, les Etats membres doivent être les garants d’une procédure de nomination et de révocation des membres stratégiques des fournisseurs de médias de services public transparente, ouverte, effective et non discriminatoire[9].

Le contrôle des concentrations. Le règlement établit également un contrôle, au niveau étatique, des concentrations médiatiques susceptibles de compromettre le pluralisme des médias et l’indépendance éditoriale[10]. Il exige aussi la publication annuelle des dépenses publicitaires gouvernementales[11] et la mise en place de systèmes de mesure d’audience transparents, non discriminants et respectueux de la vie privée[12].

La personnalisation de l’offre des médias. Enfin, les utilisateurs doivent pouvoir modifier facilement la configuration des appareils ou interfaces utilisateurs contrôlant l’accès aux services de médias en fonction de leurs intérêts ou préférences personnels. Les fabricants, développeurs et importateurs ont la responsabilité de s’assurer que leurs appareils et interfaces permettent aux utilisateurs de modifier librement et facilement les configurations, y compris les paramètres par défaut, à tout moment.

II) L’encadrement spécifique des fournisseurs de services médias sur les très grandes plateformes

La législation prévoit des obligations spécifiques imposées aux fournisseurs de très grandes plateformes en ligne, à savoir les plateformes de plus de 45 millions d’utilisateurs dans l’UE comme Facebook, X ou Instagram[13].

La transparence des fournisseurs de médias sur les très grandes plateformes en ligne. Lesdites plateformes devront notamment prévoir des fonctionnalités permettant aux destinataires de leurs services de se déclarer comme fournisseurs de services de médias s’ils en remplissent les critères[14]. Ceux-ci devront, le cas échéant, respecter les obligations prévues par l’article 6 paragraphe 1 du Règlement ci-avant, à savoir, notamment, la mention d’informations obligatoires, comme leur dénomination sociale et leurs coordonnées, la transmission d’informations relatives à leurs structure et participations, ou encore l’allocation de fonds publics pour la publicité d’Etat. Les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne devront ainsi valider ces déclarations et assurer l’accessibilité des informations au public.

L’encadrement de la modération de contenus. Le texte prévoit en outre une protection renforcée des contenus d’information en ligne contre un retrait injustifié par les très grandes plateformes, qui devront désormais justifier toute suppression de contenu aux fournisseurs de services médiatiques avant qu’elle ne prenne effet. Afin d’anticiper d’éventuels conflits, le règlement instaure un système de dialogue ayant pour objectif de trouver une solution amiable et dont le contenu pourra être reporté à la Commission.

Chaque année, le fournisseur d’une très grande plateforme en ligne mettra à disposition du public, pour des raisons de transparence, des informations détaillées, notamment sur ses pratiques de suspension ou restriction des contenus, les motifs attachés, et le nombre dialogues engagés.

Il est précisé que les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne pourraient également relever de la définition de fournisseurs de services de médias dans le cas où ceux-ci exerceraient un contrôle éditorial sur une ou plusieurs parties de leurs services. Les fournisseurs de très grandes plateformes en ligne pourraient ainsi relever de ces deux qualifications.

L’encadrement de ce règlement sera assuré par un comité européen indépendant pour les services de médias, succédant à l’ancien groupe des régulateurs européens pour les services de médias audiovisuels (ERGA), lequel sera chargé de promouvoir l’application cohérente de la législation européenne, de fournir des conseils sur la régulation des médias et de faciliter la coopération entre les autorités nationales de régulation[15].

Enfin, dans la continuité de l’objectif poursuivi par le règlement, la Commission a adopté une Recommandation[16] proposant un ensemble de mesures volontaires pour renforcer l’indépendance éditoriale des fournisseurs de services de médias et encourager ces acteurs ainsi que les États membres à promouvoir la transparence de la propriété des médias sur le marché intérieur.

Bien que les avis sur ce texte soient mitigés, il reste qu’il constitue une étape historique dans la protection de l’indépendance des médias. Dans un communiqué en date du 13 mars 2024, RSF s’est félicité d’une « avancée majeure en faveur du droit à l’information au sein de l’Union européenne »[17], tout en relevant qu’il restait encore une étape à franchir s’agissant du « chaos informationnel » qui règne sur les réseaux sociaux en obligeant les grandes plateformes en ligne « à mettre en avant des médias d’information fiables[18] ».

Les groupes d’influence des éditeurs de presse se montrent quant à eux plus réticents, souhaitant éviter une régulation européenne de la presse, tandis qu’une coalition d’ONG et de médias de service public appelle les Etats membres à aller plus loin dans la protection des journalistes et des médias[19].

Signé le 11 avril puis publié au Journal officiel de l’UE le 17, le Règlement sur la liberté des médias entrera en vigueur progressivement et s’appliquera pleinement à compter du 8 aout 2025.

Le Cabinet UGGC Avocats et son équipe spécialisée en propriété intellectuelle


[1] Liberté des médias dans l’UE, Site du Conseil européen.

[2] Bilan 2023 : 45 journalistes tués dans le cadre de leurs fonctions dans le monde, une baisse malgré la tragédie à Gaza, RSF.

[3] Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des personnes qui participent au débat public contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives du 27 avril 2022.

[4] Art. 3 du Règlement sur la liberté des médias.

[5] Art. 6 du Règlement.

[6] Art. 5 du Règlement.

[7] Art. 4 du Règlement.

[8] Ibid.

[9] Art. 5 du Règlement.

[10] Art. 22 du Règlement.

[11] Art. 25 du Règlement.

[12] Art. 24 du Règlement.

[13] Art. 2.10 du Règlement renvoyant à l’article 33 du Digital Market Act.

[14] Entendus comme toute personne physique ou morale dont l’activité professionnelle consiste à fournir un service de médias, qui assume la responsabilité éditoriale du contenu de ce service et qui détermine la manière dont il est organisé (art. 2.2 du Règlement)

[15] Art. 8 à 13, Règlement sur la liberté des médias

[16] Recommandation (UE) 2022/1634 du 16 septembre 2022 concernant des garde-fous internes destinés à protéger l’indépendance éditoriale et la transparence de la propriété dans le secteur des médias.

[17] Législation européenne sur la liberté des médias (EMFA) : une avancée majeure pour le droit à l’information en Europe, site RSF, 13 mars 2024.

[18] Le Parlement européen adopte une législation inédite sur la liberté des médias, RFI, 13 mars 2024.

[19] Au Parlement, le règlement sur la liberté des médias passe comme une lettre à la poste, Contexte, 14 mars 2024.