Cass. 1ère civ., 10 juillet 2013, n°12-21.314 – Vaccin contre l’hépatite B et conditions de la responsabilité encourue par le laboratoire producteur : le recours aux présomptions de l’article 1353 du code civil

15/10/2013

1. Une femme reçoit entre 1986 et 1993 plusieurs injections de vaccins contre l’hépatite B. Elle se plaint fin 1992 d’une paresthésie des mains, d’un état de fatigue ainsi que de troubles conduisant, en 1998, au diagnostic de la sclérose en plaques. Elle a intenté une action en responsabilité contre le fabricant du vaccin. La cour d’appel de Versailles a rejeté sa demande faute pour l’intéressée d’avoir établi le caractère défectueux du vaccin en application de l’article 1386-4 du code civil. En effet, les juges du fond ont considéré que la seule implication du produit dans la réalisation du dommage ne suffit pas à établir son défaut ni le lien de causalité entre ce défaut et la sclérose en plaques. Ils expliquent qu’un produit ne peut être retiré du marché du seul fait qu’il ne répond pas à l’attente particulière d’une personne, que le bénéfice attendu du vaccin contre l’hépatite B par le public utilisateur est avant tout une protection efficace contre ce virus, ce qui est le cas ce pourquoi le vaccin contre l’hépatite B qui a probablement sauvé des milliers de vie pour lesquelles le risque « hépatite B » était infiniment plus grand que le risque « sclérose en plaques », n’a pas été retiré du marché et a reçu toutes autorisations requises. Le fait que le ministère de la santé ait mis un terme aux campagnes de vaccination obligatoire systématiques ne peut contribuer à établir le caractère défectueux du produit.

La cour de cassation ne valide pas cette position : « en ce déterminant  ainsi, par une considération générale sur le rapport bénéfice/risques de la vaccination, après avoir admis qu’il existait en l’espèce des présomptions graves, précises et concordantes tant au regard de la situation personnelle de l’intéressée que des circonstances particulières résultant notamment du nombre des injections pratiquées, de l’imputabilité de la sclérose en plaques, sans examiner si ces mêmes faits ne constituaient pas de présomptions graves, précises et concordantes du caractère défectueux des doses qui lui avaient été administrées, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Par cette décision, la Cour de cassation confirme, au visa de l’article 1386-4 du code civil, la position qu’elle avait adoptée, pour la première fois, dans un arrêt du 26 septembre 2012[1] : l’extension du recours aux présomptions pour prouver le défaut du produit.

C’est la confirmation et de l’abandon de la condition d’imputabilité objective liée à la causalité scientifique vue comme un préalable nécessaire et de la possibilité de preuve par présomptions du défaut du produit.

-Coup d’arrêt à l’argument préalable objectif et scientifique du rapport bénéfice/risque d’un médicament susceptible de fonder l’absence de responsabilité, certains auteurs l’ont approuvé[2], le caractère défectueux d’un produit devant s’apprécier dans le cadre de l’action en indemnisation des préjudices par une victime, personne déterminée, envers qui le risque s’est réalisé et non au regard d’un rapport bénéfice/risque qui concerne la société en général.

C’est bien ici la question de l’application de l’article 1386-4 du code civil[3] et de l’exigence de « la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ». Car, en matière de médicaments ou de vaccins, on peut précisément raisonnablement s’attendre à des effets indésirables. C’est le décalage entre les risques auxquels on peut légitimement s’attendre et les risques réels que comporte le produit qui devrait faire conclure au défaut de sécurité[4].

Il ressort de cette décision que les considérations générales -notamment sur le rapport bénéfice/risques- ne peuvent exonérer le juge d’examiner les considérations particulières retenues par lui quant au lien causal entre la maladie et le produit, pour vérifier si elles ne constituent pas des présomptions graves, précises et concordantes de nature à établir le caractère défectueux du produit administré à l’intéressé.

Si certains en doutaient encore, la cour de cassation affirme que la preuve du caractère défectueux du produit peut aussi être rapportée par la voie des présomptions de l’article 1353 du code civil[5].

La question est désormais celle des éléments pouvant constituer les présomptions requises.

Cela sera la tâche des juridictions de renvoi saisies de la question à qui il appartiendra dans leur pourvoir souverain, de déterminer notamment si les présomptions retenues pour estimer rapportée la preuve de la causalité entre le préjudice et le produit pourront être celles-là même qui permettront de voir rapportée la preuve du défaut.

La marge de manœuvre existe mais apparaît bien limitée[6] et la question peut se poser dans bien d’autres contentieux. Comme le relève justement un auteur, « le sort du défaut du produit semble désormais pour une grande partie lié à celui du lien de causalité entre le défaut du produit et le préjudice »[7] avec une certitude, le doute scientifique ne peut suffire à justifier le rejet de la demande d’une personne déterminée.

Pourtant, la condition fondamentale de la nécessité d’un « défaut » du produit ne peut être confondue, même par le jeu des présomptions, avec celle également exigée de la preuve du lien causal entre le défaut et le dommage. La cour de cassation avait jusque-là veillé à ce que cette condition de preuve du défaut soit une condition à part entière[8].

Il avait été admis que l’argument lié au bénéfice/risque était une manière raisonnable de définir le niveau de sécurité légitime[9] : une acception objective du défaut de sécurité, rapportée aux conditions dans lesquelles est délivrée une AMM[10].

C’est bien cette acception objective, générale, qui est remise en cause, puisque l’existence d’une AMM- hormis le manquement à l’obligation d’information- empêcherait de voir retenir le caractère défectueux du produit. Alors que pour le patient concerné, le rapport bénéfice/risque est nécessairement inversé, le risque s’étant réalisé. C’est ce que la Cour de cassation retient : l’appréciation ne peut seulement être objective dans le cadre d’une action individuelle en recherche de responsabilité et en indemnisation : il doit être tenu compte de toutes les circonstances, y compris celles propres à l’administration particulière du produit à telle personne déterminée.

Mais les présomptions, qui seraient finalement fondées sur le même faisceau d’indices retenu pour établir celles pouvant être établir le lien de causalité entre le dommage et le produit, pourront-elles au-delà de la mention des effets indésirables, justifier que soient retenus l’ensemble des éléments fondant la responsabilité du fait d’un produit défectueux ?

L’effet secondaire indésirable connu d’un médicament qui n’empêche pas pour autant la mise sur le marché, devra-t-il nécessairement être considéré comme révélateur du caractère défectueux du produit ?

C’est aller loin dans l’appréciation de « la sécurité à laquelle on[11] peut légitimement s’attendre ».

Cette création jurisprudentielle qui trouve son explication parce que l’on est dans le domaine de la santé où le « consommateur » est un patient et qui est satisfaisante pour les victimes car le doute scientifique ne pèse plus sur elles, met cependant à mal les fondements du droit positif si l’on considère que le défaut du produit administré à l’intéressé est induit dès lors que le lien de causalité est établi -par le biais des présomptions- entre la maladie et la vaccination obligatoire.

L’incertain qui devrait aboutir au rejet d’une action en responsabilité et aux fins d’indemnisation cède devant la logique actuelle de l’indemnisation par le biais de l’organisation d’un cadre probatoire d’exception, qui ne devrait relever que de l’établissement d’une présomption de droit[12].

Entre prudence [13] et audace de la cour de cassation, le contentieux de la responsabilité du fait des produits défectueux, particulièrement en matière de santé, n’a pas encore fini de susciter les interrogations.


[1] Cass. 1ère civ., 26 sept. 2012 n°11-17.738, Semaine juridique Ed. G. n°46, 12 nov. 2012, 1199 « le défaut du vaccin contre l’hépatite B et la logique de l’incertain » Christophe Quézel-Ambrunaz.

[2] Semaine juridique Ed. G. n°46, 12 nov. 2012, 1199 « le défaut du vaccin contre l’hépatite B et la logique de l’incertain » Christophe Quézel-Ambrunaz.

[3] « Un produit est défectueux au sens du présente titre lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. Dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation… ».

[4] A. Laude “La responsabilité des produits de santé”, D. 1999, chr., p. 189.

[5] «  La place confortée des présomptions en matière de responsabilité du fait des produits » Sophie Le Gac-Pech sur l’arrêt du 10 juillet 2013, semaine juridique Entreprise et Affaires, n+36, 5 sept. 2013, 1480 : « .Ce recours aux présomptions constitue le moyen commode et efficace, trouvé par la cour de cassation, pour contrer les incertitudes scientifiques ».

[6] Elle pourrait concerner les cas de mauvaise utilisation, la cause du dommage étant, par le jeu des présomptions, l’administration du produit (par le biais de la mauvaise utilisation), mais non son défaut.

[7] Semaine juridique Ed. G. n°46, 12 nov. 2012, 1199 « le défaut du vaccin contre l’hépatite B et la logique de l’incertain » Christophe Quézel-Ambrunaz

[8] Cass. 1ère civ., 24 janv. 2006, n°03-19.534, Bull. civ. I, n°33, D. 2006, p.1273, note Neyret ; JCP G 2006, II, n°10082, note Grynbaum ; RTD civ. 2006, p. 325, obs. Jourdain.  La cour de cassation reproche à la cour d’appel d’avoir déduit le caractère défectueux du vaccin sur les seules constatations que le vaccin avait été le facteur déclenchant du syndrome de Guillain-Barré développé et que l’AMM, dont l’obtention n’avait pas pour effet d’exonérer le fabricant de sa responsabilité de droit commun, énumérait cette affection au titre des effets indésirables de ce produit, en mentionnant très rarement, des neuropathies périphériques.

[9] G. Viney, “la responsabilité des fabricants de médicaments et de vaccins : les affres de la preuve », D. 2010, p. 391.

[10] Article L. 5121-9 du code de la santé publique : l’AMM est « refusée lorsqu’il apparaît que l’évaluation des effets thérapeutiques positifs du médicament ou produit au regard des risques pour la santé du patient ou la santé publique liés à sa qualité, sa sécurité ou à son efficacité n’est pas considérée comme favorable.. »

[11] Et non « chacun » comme peuvent le faire valoir les fabricants.

[12] Comme il a pu l’être fait en matière d’hépatite C par le biais de l’article 102 de la loi du 4 mars 2002.

[13] Lexbase hebdon°537 25 juill. 2013, Pan de resp. civ. Méd . Christophe Radé qui évoquait une prudence regrettable « une ligne de conduite très prudente qui exploite a minima les marges d’interprétation de la loi (sur la responsabilité du fait des produits défectueux) sans aller jusqu’à la violer ouvertement ». Mais, l’audace doit-elle vraiment aller jusque- là ?