Bientôt la fin du verrou de Bercy ?
La question est posée : la réponse sera donnée par le Conseil Constitutionnel.
Par arrêt du 19 mai 2016 (n° 16-81.857), la chambre criminelle de la Cour de cassation vient en effet de lui transmettre la QPC suivante :
« Les dispositions prévues par l’article 1er de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977 portent-elles atteinte au principe constitutionnel de séparation des pouvoirs et à l’article 64 de la Constitution qui garantit l’indépendance des juridictions ? »
Rappelons que cet article est devenu l’article L. 228 du livre des procédures fiscales (LPF). Ce texte fixe la procédure à suivre en matière d’enquêtes pénales pour fraude fiscale et institue en particulier la commission des infractions fiscales (C.I.F.)
La QPC porte sur la version du texte appliquée entre le 1er janvier 2010 et le 1er janvier 2012 :
« Sous peine d’irrecevabilité, les plaintes tendant à l’application de sanctions pénales en matière d’impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d’affaires, de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont déposées par l’administration sur avis conforme de la commission des infractions fiscales.
La commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé du budget. Le contribuable est avisé de la saisine de la commission qui l’invite à lui communiquer, dans un délai de trente jours, les informations qu’il jugerait nécessaires.
Toutefois, la commission examine l’affaire sans que le contribuable soit avisé de la saisine ni informé de son avis lorsque le ministre chargé du budget fait valoir qu’existent des présomptions caractérisées qu’une infraction fiscale pour laquelle existe un risque de dépérissement des preuves résulte :
1° Soit de l’utilisation, aux fins de se soustraire à l’impôt, de comptes ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis dans un Etat ou territoire qui n’a pas conclu avec la France de convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscale entrée en vigueur au moment des faits et dont la mise en œuvre permet l’accès effectif à tout renseignement, y compris bancaire, nécessaire à l’application de la législation fiscale française ;
2° Soit de l’interposition, dans un Etat ou territoire mentionné au 1°, de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable ;
3° Soit de l’usage d’une fausse identité ou de faux documents au sens de l’article 441-1 du code pénal, ou de toute autre falsification.
Le ministre est lié par les avis de la commission.
Un décret en Conseil d’Etat fixe les conditions de fonctionnement de la commission. »
Dans sa version de 2010 ou dans sa version actuelle[1], l’article L. 228 du LPF pose le même principe selon lequel le Parquet ne peut décider seul de l’ouverture d’une enquête : la décision appartient en réalité à la C.I.F.
C’est sur ce point que porte la motivation de la chambre criminelle dans son arrêt du 19 mai 2016 :
« Attendu que la question posée présente un caractère sérieux, en ce que l’article L. 228 du livre des procédures fiscales dans sa version applicable au 1er janvier 2010 qui subordonne les poursuites pour fraudes fiscales à une plainte préalable de l’administration fiscale sur avis conforme de la commission des infractions fiscales, est susceptible de porter une atteinte injustifiée aux principes d’indépendance de l’autorité judiciaire et de la séparation des pouvoirs, en privant le ministère public de la plénitude de son pouvoir d’apprécier l’opportunité des poursuites au bénéfice du ministre chargé du budget ;
D’où il suit qu’il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ; »
La constitutionnalité de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales sera jugée par le Conseil Constitutionnel dans les trois mois de sa saisine par la cour de cassation.
En septembre 2016, nous saurons donc si le verrou de Bercy est conforme ou non aux principes d’indépendance de l’autorité judiciaire et de la séparation des pouvoirs.
Si le Conseil Constitutionnel devait déclarer le texte contraire à la Constitution, le procureur de la République et le procureur national financier disposeraient alors des pleins pouvoirs pour engager des enquêtes en matière de fraude fiscale.
[1] La version actuelle du texte diffère sur les critères d’établissement du risque de dépérissement des preuves :
« Sous peine d’irrecevabilité, les plaintes tendant à l’application de sanctions pénales en matière d’impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d’affaires, de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont déposées par l’administration sur avis conforme de la commission des infractions fiscales.
La commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé du budget. Le contribuable est avisé de la saisine de la commission qui l’invite à lui communiquer, dans un délai de trente jours, les informations qu’il jugerait nécessaires.
Toutefois, la commission examine l’affaire sans que le contribuable soit avisé de la saisine ni informé de son avis lorsque le ministre chargé du budget fait valoir qu’existent des présomptions caractérisées qu’une infraction fiscale pour laquelle existe un risque de dépérissement des preuves résulte :
1° Soit de l’utilisation, aux fins de se soustraire à l’impôt de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger ;
2° Soit de l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger ;
3° Soit de l’usage d’une fausse identité ou de faux documents au sens de l’article 441-1 du code pénal, ou de toute autre falsification ;
4° Soit d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ;
5° Soit de toute autre manœuvre destinée à égarer l’administration.
Le ministre est lié par les avis de la commission.
Un décret en Conseil d’Etat fixe les conditions de fonctionnement de la commission. »