Affaire Madoff (Sicav Luxalpha) et compétence du tribunal du « lieu où le fait dommageable s’est produit »
Com. 7 janv. 2014, F-P+B, n° 11-24.157
Aux termes de l’article 5, 3° du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, (Bruxelles I), une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire. Et selon une jurisprudence bien établie, le lieu du fait dommageable s’entend aussi bien du lieu du fait générateur du dommage que du lieu de la survenance du dommage.
La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser l’application de cette règle dans une affaire où le demandeur, indirectement impacté par la fraude Madoff suite à l’investissement en 2006 par l’intermédiaire de la Société Générale de titres de la Sicav Luxalpha, avait assigné devant le tribunal de grande instance de Paris tant la banque que la société UBS Luxembourg en sa qualité de gestionnaire de la Sicav Luxalpha.
La société UBS a soulevé l’incompétence des juridictions françaises au profit des juridictions luxembourgeoises, et ce avec succès tant devant les juges du fond que devant la Cour de cassation.
Cette dernière a en effet estimé que la Cour d’appel avait jugé à bon droit en retenant que les actes reprochés à la société UBS Luxembourg ont nécessairement été commis au Luxembourg, et que le dommage, qui ne peut s’entendre que de la perte de valeur de ses actifs par la société Luxalpha Sicav, se situe au Luxembourg. Elle a précisé que le lieu où s’est matérialisé le préjudice financier de l’investisseur n’est pas la France mais le Luxembourg où la société Luxalpha Sicav a subi en premier la perte de valeur de ses titres. Elle retient encore que le lieu où s’est produit le fait dommageable ne saurait se confondre avec le lieu du domicile où est localisé le patrimoine de la demanderesse.
La demanderesse n’est donc pas au bout de ses peines, d’autant que son action contre la Société Générale – par l’intermédiaire de laquelle elle avait souscrit les titres de la Sicav Luxalpha – a été rejetée par le tribunal de grande instance de Paris qui a jugé que la banque n’avait commis aucune faute, tant en sa qualité de récepteur-transmetteur d’ordre que de de teneur de compte conservateur (TGI Paris 9ème chambre 2ème section 29 mars 2013 RG 09/06843 – Le Tribunal a ainsi notamment exclu tout manquement au devoir de conseil et de mise en garde, après avoir rappelé que la banque qui n’assure que la transmission d’ordres d’investissement n’est pas tenue à un devoir de conseil, et a jugé par que le caractère spéculatif de l’investissement n’était pas démontré, de sorte que la mise en garde n’était pas due).
La notion de « lieu où le fait dommageable s’est produit » vient également de faire l’objet de précisions dans deux autres domaines. D’une part en matière de responsabilité d’un fabriquant du fait d’un produit défectueux, la CJUE (CJUE 16 janv. 2014, aff. C-45/13) vient de juger que le lieu de l’évènement causal à l’origine du dommage est le lieu de la fabrication du produit litigieux. D’autre part en matière d’atteinte aux droits d’auteur, la Cour de cassation, par deux arrêts du même jour (Cass. civ. 1 22 Janvier 2014 N° 10-15.890 et N° 11-24.019) – faisant application de la jurisprudence de la CJUE du 3 octobre 2013 (C-170/12) – a jugé que l’accessibilité, dans le ressort de la juridiction saisie, par voie hertzienne ou par le réseau internet, de tout ou partie de la reproduction incriminée, justifie la compétence de cette juridiction, prise comme celle du lieu de la matérialisation du dommage allégué.