Mesures d’instructions in futurum : le juge français n’a pas à tenir compte de la protection accordée par la loi étrangère à certaines correspondances (Cass. Civ., 1ère, 3 novembre 2016, RG n°15-20495)
Par Alexis Weil
L’article 145 du Code de procédure civile permet à un justiciable de demander à un juge, d’ordonner – avant tout procès – des mesures d’instruction afin de conserver ou d’établir « la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. »
Lorsque les circonstances le justifient, cette demande peut être formulée de manière non-contradictoire, à charge pour les parties souhaitant contester les mesures d’instructions – dans un deuxième temps – le même juge par la voie du référé rétractation.
Afin d’obtenir du juge qu’il ordonne les mesures d’instructions sollicitées, le demandeur doit démontrer qu’il existe un motif légitime de réunir lesdites preuves, que les mesures sollicitées sont légalement admissibles et qu’elles ne sont pas excessives.
L’existence de ce motif légitime est, principalement, caractérisée par l’existence d’un éventuel procès au fond, dans l’hypothèse où les mesures d’instructions devaient permettre de réunir les preuves recherchées.
En particulier, le demandeur doit démontrer qu’un procès au fond ne serait pas manifestement voué à l’échec.
La Cour de cassation s’est, récemment, interrogée concernant l’étendue des mesures qui pouvaient être ordonnées dans le cadre de cette procédure.
En particulier, elle a été interrogée concernant la saisie de correspondances entre juristes qui seraient admissibles en droit français mais protégées, au regard du droit américain, droit qui semblait applicable au fond du litige.
Faits de l’espèce
Une société américaine (la société Metabyte) a créé, en 1999, une filiale, la société MNI, chargée de développer une technologie, laquelle a été protégée par des brevets.
Le groupe Technicolor, composé par des sociétés de droit américain, est ensuite entré majoritairement au capital de la société MNI. Le premier a décidé de céder les actifs de la société MNI. Si la société Metabyte a déposé une offre, les actifs – parmi lesquels les brevets – ont finalement été cédés à la société Thomson Licensing.
Les sociétés Metabyte et les sociétés composant le groupe Technicolor s’opposent sur les conditions de cette cession.
A la demande de la société Metabyte, le Président du Tribunal de commerce de Nanterre a ordonné, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, à un huissier de se faire remettre et de conserver temporairement sous séquestre des documents en rapport avec la stratégie d’exploitation puis la mise en vente des brevets ayant appartenus à la société MNI.
Le Président du Tribunal de commerce a fait droit à cette demande. Des échanges ont été saisis. Parmi ceux-ci figuraient des correspondances échangées entre des conseils internes et externes des sociétés Technicolor.
Les sociétés composant le groupe Technicolor ont assigné la société Metabyte devant le même juge afin d’obtenir la rétractation de l’ordonnance ayant permis les mesures d’instruction entreprises.
Les sociétés composant le groupe Technicolor s’opposaient, notamment, à la communication de certaines correspondances indiquant que, selon elles, ces dernières étaient couvertes par le secret professionnel aux termes de la loi américaine, sous l’empire de laquelle elles avaient été échangées. Elles demandaient que ces échanges fassent l’objet d’une mesure de séquestre jusqu’à ce qu’une décision soit prise par la juridiction éventuellement saisie du fond et, cela, en fonction de la loi applicable au fond.
Par demande reconventionnelle, la société Metabyte demandait la communication des pièces séquestrées.
Le Président du Tribunal de commerce a rejeté, tant, la demande de rétractation, que la demande de la société Metabyte au motif, pour cette dernière, que les pièces séquestrées pouvaient être couvertes par l’ordre public américain.
Les sociétés Technicolor ont, ensuite, interjeté appel de cette décision. La Cour d’appel de Versailles a confirmé l’ordonnance du Président du Tribunal de commerce en ce qu’il a refusé de rétracter sa première ordonnance mais l’a infirmée concernant la demande reconventionnelle de Metabyte. En particulier, la Cour d’appel a ordonné la communication des documents séquestrés à la seule exception des échanges entre avocats et des échanges entre avocats et clients, tels que visés par la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971.
En conséquence, tous les échanges qui auraient été protégés selon le droit américain mais qui ne l’étaient pas aux termes des dispositions de la loi française devaient être communiqués à la société Metabyte.
L’arrêt de la Cour de cassation
Les sociétés du groupe Technicolor se sont pourvues en cassation.
La Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur une question précise : fallait-il prolonger la mesure de séquestre aussi longtemps que le juge du fond n’était pas saisi et laisser le soin à ce dernier de statuer, en fonction de la loi applicable au fond du litige, sur l’opportunité de communiquer les pièces saisies dès lors qu’elles pouvaient faire l’objet d’une protection au regard de lois étrangères.
La Cour de cassation a rappelé, dans un premier temps, que les mesures d’instruction ordonnées sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, ne sont soumises qu’à la loi française sans qu’il soit nécessaire de caractériser le motif légitime au regard de la loi susceptible de s’appliquer au fond du litige.
En outre, la Cour de cassation a jugé que, sous réserves que les autres conditions relatives à la régularité de la procédure (respect du principe de proportionnalité, protection des libertés fondamentales, etc.), les mesures d’instructions qui pouvaient être ordonnées par le juge étaient celles prévues par le Code de procédure civile et qu’il n’appartenait pas au même juge de s’interroger sur leur admissibilité au regard d’un autre ordre juridique, à savoir celui qui serait applicable au fond du litige.
En particulier, la Cour de cassation a jugé qu’au regard du droit français et des libertés fondamentales protégées par le droit français, seuls les échanges entre avocats, ou entre avocats et leurs clients sont protégés de sorte que les échanges intervenus entre des juristes n’ayant pas la qualité d’avocat au sens du droit français ne sont pas protégés.
Pour ces raisons, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi.
Conclusion
Nous savions déjà que la vie privée et le secret des affaires ne constituaient pas des obstacles à la communication de documents saisis, dans le cadre de mesures d’instructions in futurum.
Il convient, en l’état actuel du droit français, d’alerter chacun sur le fait que la protection que des droits étrangers (ici, le droit américain) confèrent à des échanges entre juristes n’emporte pas d’effet en droit français dans le cadre de la procédure prévue par l’article 145 du Code de procédure civile.
Il est clair que l’absence de protection en France de documents confidentiels au regard des lois étrangères constitue une opportunité inattendue dès lors qu’il apparaît désormais possible de saisir en France des documents dont la valeur pourrait être particulièrement importante en vue d’un litige à venir.
Toutefois, cette opportunité doit être relativisée dès lors que rien ne permet d’obtenir l’assurance que des documents saisis par cette voie pourront être utilisés, ultérieurement, dans le cadre d’une procédure au fond, si celle-ci devait être soumise à la compétence de juridictions étrangères ou à l’application d’un droit étranger. Par ailleurs, si de tels documents étaient déclarés recevables par la juridiction saisie du fond, une nouvelle difficulté pourrait survenir au moment de la reconnaissance et de l’exécution du jugement dans un autre Etat.