Information du patient et sécurité des produits suite : arrêt de la cour de cassation du 12 juillet 2012 n°11-17.510

31/07/2012

Voici un arrêt intéressant à double titre :

1/ Sur le devoir d’information et les conséquences d’un manquement à ce devoir. Se pose la question de la conciliation du principe de réparation d’une perte de chance d’échapper, par une décision peut-être plus judicieuse, au risque qui s’est finalement réalisé calculée sur la base de l’entier préjudice corporel subi par le patient et le principe de réparation d’un préjudice moral, détaché des lésions corporelles[1].

Le pourvoi de l’assureur du chirurgien reprochait à l’arrêt d’avoir retenu sa responsabilité pour manquement à son obligation d’information à l’origine d’une perte de chance de  moitié des dommages alors que le patient ne peut prétendre à aucune indemnisation au titre d’une perte de chance lorsqu’il s’est avéré comme en l’espèce que l’acte médical était nécessaire ou ne présentait pas de meilleure alternative et qu’il aurait accepté l’intervention s’il avait été correctement informé. Le pourvoi soutenait que le non-respect du devoir d’information que le juge ne peut laisser sans réparation (cf arrêt de la cour de cassation du 3 juin 2010 – 1ère civ. 3/06/2010 n°09-13591) ne saurait être constitué par une perte de chance d’éviter le dommage et qu’ainsi l’arrêt qui avait confirmé la décision des premiers juges d’indemniser le dommage au titre d’une perte de chance après avoir constaté la nécessité de l’intervention alors qu’il avait uniquement retenu un préjudice moral, devait donc être cassé.

Pour rejeter ce pourvoi, la Cour de cassation se retranche derrière le pouvoir souverain d’appréciation de la Cour d’appel qui, n’ayant pas retenu la perte de chance indemnisée par le tribunal mais un préjudice moral, a évalué ledit préjudice moral qu’elle a réparé à hauteur des indemnités fixées par les premiers juges[2].

Pas de décision de principe derrière cette décision de rejet si ce n’est, malgré tout, avec des définitions claires : la réitération de l’existence d’un « droit personnel détaché des atteintes corporelles, accessoire  au droit à l’intégrité physique dont la lésion entraîne un préjudice moral, résultant d’un défaut de préparation psychologique aux risques encourus et du ressentiment éprouvé à l’idée de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporelle ».

2/ En matière de sécurité des produits. On se souvient[3] que l’arrêt de la CJUE du 21 décembre 2011[4] interprétatif de la Directive  85/374 du 25 juillet 1985, implique que rien n’empêche de prévoir un régime de responsabilité propre -sans faute- du prestataire en vue de la réparation des dommages causés par un produit défectueux dans le cadre d’une prestation de services, régime qui s’ajoutera au régime de responsabilité du producteur qui découle de la directive.

L’arrêt de la CJUE précisant que la responsabilité susceptible d’incomber à « un utilisateur » « …qui a fait usage dans le cadre d’une prestation de soins prodigués à un patient d’un produit ou d’un appareil qu’il a préalablement acquis…ne relève pas des points que réglemente la Directive 85/374 et échappe ainsi au champ d’application de cette dernière », le conseil d’Etat avait donc, par arrêt du 12 mars 2012[5], considéré que c’était à bon droit que les juges d’appel avaient reconnu le service public hospitalier responsable des conséquences dommageables de la défaillance de l’appareil en question, même en l’absence de faute et sans préjudice des actions qu’il est susceptible d’exercer à l’encontre du fabricant.

Se posait la question de l’application d’un principe similaire au titre de l’obligation de sécurité-résultat qui avait pu être retenue par la jurisprudence[6], dans le cadre d’une prestation de soins en milieu non hospitalier mais privé.

C’est bien cette question qui était de façon sous-jacente posée à la cour de cassation dans le cadre du pourvoi initié par le chirurgien qui avait posé la prothèse.

La cour de cassation, rappelle dans un considérant de principe qu’en considération des objectifs et de l’économie de la Directive et l’interprétation donnée la CJUE, que  la responsabilité des prestataires de services de soins ne relève pas, hormis le cas où ils sont eux même producteurs, du champ d’application de la directive « et ne peut dès lors être recherchée que pour faute lorsqu’ils ont recours aux produits, matériels et dispositifs médicaux nécessaires à l’exercice de leur art ou à l’accomplissement d’un acte médical, pourvu que soit préservée leur faculté et/ou celle de la victime de mettre en cause la responsabilité du producteur sur le fondement de ladite directive lorsque se trouvent remplies les conditions prévues par celle-ci ».

L’arrêt de la cour d’appel, qui pour condamner le chirurgien avec le fabricant, a retenu que, « tenu d’une obligation de sécurité de résultat quant aux choses qu’il utilise dans la pratique de son art, le seul fait de l’éclatement de la prothèse à l’occasion d’un sport qui n’est pas défini comme dangereux ou comportant des risques d’atteinte physique anormaux ou encore dont la pratique était déconseillée pour les porteurs d’une telle prothèse, suffit à engager sa responsabilité en l’absence d’une cause d’exonération ayant les caractéristiques de la force majeure » a été cassé car « en se déterminant ainsi, après avoir retenu que M. Z… n’avait pas commis de faute, la cour d’appel a violé les textes susvisés (‘article 1147 du code civil, articles 1386-1 à 1386-18 du code civil portant transposition de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 modifiée) le premier par refus d’application et les autres par fausse application ».

La cour de cassation fait expressément référence à ce qu’a pu décider la CJUE dans son arrêt du 21 décembre 2011 mais exclut néanmoins toute application d’une obligation de sécurité-résultat qui avait retenue par la Cour d’appel dans l’arrêt dont pourvoi, en rappelant que doit s’appliquer le régime de responsabilité pour faute de l’article 1147 du code civil.


[1] cf notre article : la réparation du préjudice moral né du manquement au devoir d’information du médecin + article Clémence Lemétais d’Ormesson « la réaffirmation par la cour de cassation du caractère réparable du préjudice moral liée au défaut d’information en matière médicale ».

[2] Notons ici que l’évaluation finalement accordée en réparation du préjudice moral a donc été de : 10 705 euros (ceci au vu des éléments contenus dans les moyens du pourvoi).

[3] cf notre article « sécurité des produits de santé -arrêt CJUE 21/12/2011 ».

[4] par ces motifs, la Cour (CJUE, 21 déc. 2011 – C-495/10 centre hospitalier universitaire de Besançon/Thomas Dutrueux, CPAM du Jura – JCP A 2012, act.27) dit pour droit :

« La responsabilité d’un prestataire de services qui utilise, dans le cadre d’une prestation de services telle que des soins dispensés en milieu hospitalier, des appareils ou des produits défectueux dont il n’est pas le producteur au sens des dispositions de l’article 3 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du parlement européen et du Conseil, du 10 mai 1999, et cause, de ce fait, des dommages au bénéficiaire de la prestation, ne relève pas du champ d’application de cette directive. Cette dernière ne s’oppose dès lors pas à ce qu’un Etat membre institue un régime tel que celui en cause au principal, prévoyant la responsabilité d’un tel prestataire à l’égard des dommages ainsi occasionnés, même en l’absence de toute faute imputable à celui-ci, à condition, toutefois que soit préservée la faculté pour la victime et/ou ledit prestataire de mettre en cause la responsabilité du producteur sur le fondement de ladite directive lorsque se trouvent remplies les conditions prévues par celle-ci ».

[5] CE 12 mars 2012, req. n°327449,A

[6]Exemple :-arrêt du 9 novembre 1999, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation (bull. 1999 I n°300 p.195 – Morisot/Delsart) a précisé qu’une obligation de sécurité résultat s’imposait au médecin « en ce qui concerne les matériels qu’il utilise pour l’exécution d’un acte médical d’investigation ou de soins » ; – a noter que le pourvoi a été ici rejeté car le patient doit aussi démontrer que ces matériels sont à l’origine de son dommage (ici chute d’une table d’examen qui ne présentait pas d’anomalie) – autres exemples dans notre article « sécurité des produits de santé -arrêt CJUE 21/12/2011 »).