Le principe de concentration des moyens constitue-t-il une entrave au droit d’accès au juge ?
CEDH, 5e sect., 17 mars 2015, n° 12686/10, Barras c/ France
Le 7 juillet 2006, l’assemblée plénière de la Cour de cassation énonçait un nouveau principe, dit de concentration des moyens, selon lequel :
« Il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci ».[1]
Les parties doivent, en vertu de ce principe, concentrer lors de la première instance tous les moyens de droit pertinents à l’appui de leurs prétentions en demande comme en défense. A défaut, ils s’exposent à l’irrecevabilité de leur demande qui serait présentée postérieurement dans une deuxième procédure, sur le fondement de l’autorité de la chose jugée[2] .
Dans l’affaire présentée à la Cour européenne, le demandeur, Monsieur Barras, avait perdu en appel en 2002 et renoncé à se pourvoir en cassation. En 2004, et donc postérieurement à cette procédure, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence sur la question intéressant directement sa demande. Monsieur Barras introduisit en conséquence une deuxième demande en 2005, rejetée en premier instance. Son appel fut rejeté en application du principe de concentration des moyens qui a été consacré par l’assemblée plénière en cours de procédure. Son pourvoi en cassation n’eut pas plus de succès que les instances précédentes.
C’est dans ces conditions que Monsieur Barras saisit la Cour européenne des droits de l’homme, arguant de la violation de son droit d’accès à un tribunal et de son droit à un procès équitable en raison de l’application du principe de concentration des moyens, le privant de se prévaloir du revirement de jurisprudence de 2004 qui aurait pu rendre l’issue de son action favorable.
Les faits particuliers de l’espèce invitaient ainsi la Cour européenne à statuer sur les conséquences d’un fondement juridique nouveau apparu postérieurement à une première demande au regard du principe de concentration des moyens.
Sur cette question, la Cour relève d’abord que le principe de la concentration des moyens tend à assurer une bonne administration de la justice en ce qu’il vise à réduire le risque de manœuvres dilatoires et à favoriser un jugement dans un délai raisonnable. Elle estime ainsi que la limitation au droit d’accès à un tribunal qu’il opère s’inscrit donc dans un objectif légitime.
La Cour semble cependant poser une limite lorsque le fondement juridique d’une seconde demande repose sur une modification du droit positif postérieure à l’examen de la première demande.
Ainsi, reconnaissant que le demandeur se trouve dans une position impossible lorsque la seconde demande repose sur une modification du droit positif postérieur à la première demande, la Cour précise que la position qu’elle adopte dans cette affaire « ne préjuge cependant pas de la question de savoir si un demandeur débouté de son action par une décision devenue irrévocable peut invoquer un changement ultérieur de l’État de droit pour saisir à nouveau un tribunal de sa demande. » (§30).
En l’espèce en effet, Monsieur Barras, contrairement à ce qu’il soutenait, n’avait pas fondé sa deuxième demande sur le revirement de jurisprudence de 2004, de sorte que sa demande devant la Cour européenne a été déclarée irrecevable. Et la réserve susvisée émise par la Cour laisse à penser que la demande aurait pu être accueillie s’il en avait été autrement.
[1] Cass. ass. plén. 7 juillet 2006, n°04-10.672 : Bull. civ. 2006, ass. plén., n°8
[2] art. 1351 du code civil