La Convention européenne des Droits de l’Homme ne garantit pas l’accès illimité au dossier pénal
La Cour européenne des Droits de l’Homme vient de l’affirmer dans son arrêt du 9 avril 2015, A.T. c/ Luxembourg (n° 30460/13) , ce principe n’étant retenu que jusqu’à la présentation de l’accusé devant l’Autorité judiciaire.
Dans l’espèce jugée, un ressortissant britannique avait été remis aux autorités luxembourgeoises par le Royaume Uni en décembre 2009, dans le cadre d’une procédure de mandat d’arrêt européen.
Interrogé une première fois par la police luxembourgeoise sans avoir pu bénéficier de l’assistance d’un avocat, il avait ensuite été présenté à un juge d’instruction sans que son conseil (alors à ses côtés) ne puisse avoir accès au dossier avant l’audition par ce magistrat.
Si la Cour européenne considère que l’absence de l’avocat devant la police a violé les articles 6 § 1 et 6 § 3 c) de la Convention « faute pour le requérant d’avoir bénéficié de l’assistance d’un défenseur lors de son audition par la police et faute pour les juridictions d’avoir réparé les conséquences en résultant » , elle estime au contraire que l’absence d’accès au dossier avant l’audition par le juge d’instruction n’était pas contraire à l’article 6 :
« 79. Par application de l’article 85 du code d’instruction criminelle, les autorités luxembourgeoises reportent l’accès au dossier pénal jusqu’après le premier interrogatoire (voir, à ce sujet, paragraphe 30 ci‑dessus). La Cour rappelle que des restrictions à l’accès au dossier aux stades de l’ouverture d’une procédure pénale, de l’enquête et de l’instruction peuvent se justifier par, notamment, la nécessité de préserver le secret des données dont disposent les autorités et de protéger les droits d’autrui (mutatis mutandis, Oleksiy Mykhaylovych Zakharkin c. Ukraine, n° 1727/04, § 72, 24 juin 2010). En l’espèce, vu les motifs avancés dans la jurisprudence nationale, la Cour n’estime pas déraisonnable que les autorités internes justifient le défaut d’accès au dossier par des raisons relatives à la protection des intérêts de la justice. À cela s’ajoute que dès avant son inculpation, la personne interrogée dispose de toute liberté d’organiser sa défense (y compris le droit de garder le silence, de consulter le dossier après le premier interrogatoire devant le juge d’instruction, et de choisir sa stratégie de défense tout au long du procès pénal). Un juste équilibre est ainsi assuré par la garantie de l’accès au dossier, dès la fin du premier interrogatoire, devant les juridictions d’instruction et tout au long du procès au fond.
[…]
81. La Cour estime que l’article 6 de la Convention ne saurait être interprété comme garantissant un accès illimité au dossier pénal dès avant le premier interrogatoire par le juge d’instruction, lorsque les autorités nationales disposent de raisons relatives à la protection des intérêts de la justice suffisantes pour ne pas mettre en échec l’efficacité des investigations.
[…]
83. Au vu de tout ce qui précède, la Cour considère que l’assistance de l’avocat lors de l’interrogatoire du 18 décembre 2009 n’a pas été ineffective en raison d’un défaut d’accès au dossier avant cet interrogatoire.
84. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention de ce chef ».
Le principe est posé au paragraphe 81 : la Cour y met en balance le droit à un procès équitable et la protection des intérêts de la justice pour conclure qu’en l’espèce, le Luxembourg n’avait pas violé les dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme en privilégiant « l’efficacité des investigations ».
Ainsi, appliqué au droit interne français, cet arrêt aurait pour effet, au moins pour un temps, de clore le débat né après les arrêts Salduz c/ Turquie (27 novembre 2008, n° 3691/02) et Dayanan c/ Turquie (13 octobre 2009, n° 7377/03) sur l’étendue de l’intervention de l’avocat au côté de la personne placée en garde-à-vue, en particulier, sur sa possibilité d’accéder au dossier pénal alors entre les mains de l’officier de police judiciaire.
Rappelons que la Cour, dans sa décision Dayanan, avait souligné le fait qu’« un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit (pour les textes de droit international pertinents en la matière, voir Salduz, précité, §§ 37-44). L’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer » (§ 32).
En France, le droit de communication des pièces lors de la garde-à-vue est encadré par l’article 63-4-1 du Code de procédure pénale, instauré par la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, le second alinéa ayant été ajouté par la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 :
« A sa demande, l’avocat peut consulter le procès-verbal établi en application de l’avant-dernier alinéa de l’article 63-1 constatant la notification du placement en garde à vue et des droits y étant attachés, le certificat médical établi en application de l’article 63-3, ainsi que les procès-verbaux d’audition de la personne qu’il assiste. Il ne peut en demander ou en réaliser une copie. Il peut toutefois prendre des notes.
La personne gardée à vue peut également consulter les documents mentionnés au premier alinéa du présent article ou une copie de ceux-ci ».
La Cour européenne des Droits de l’Homme ne trouverait-elle rien à redire sur ce texte ? L’arrêt du 9 avril 2015 peut le laisser penser.