Licéité de la clause imputant la charge du droit de suite à l’acheteur : question préjudicielle à la CJUE
Cass. 1re civ. 22 janv. 2014, n° 13-12.675, FS P+B+I : JurisData n° 2014-000726
Nous avons évoqué dans un précédent article le combat judiciaire mené par le Syndicat National des Antiquaires (SNA) et le Comité Professionnel des Galeries d’Art (CPGA) contre la société Christie’s aux fins d’obtenir la nullité de la clause de ses conditions générales de vente et de son mandat de vente stipulant que le paiement du droit de suite incombe à l’acheteur (cf. « Licéité de la clause imputant la charge du droit de suite à l’acheteur » – Blog contentieux et résolution des litiges – 9 janvier 2014).
Le SNA et le CPGA ont ainsi poursuivi la société Christie’s en nullité de cette clause, aux motifs qu’elle dérogerait de manière illicite aux dispositions de l’article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle qui prévoit que ce droit est à la charge du vendeur, et serait notamment constitutive d’une pratique déloyale au regard du droit de la concurrence.
Seule l’action du SNA a connu une issue favorable devant la cour d’appel (CA Paris 12 décembre 2012 n°11/11606).
C’est précisément l’arrêt rendu sur l’action du SNA qui a fait l’objet d’un pourvoi en cassation par la société Christie’s.
Le premier moyen fait grief à l’arrêt d’avoir dit recevable l’action du SNA et conteste la décision de la Cour d’appel selon laquelle l’article L.122-8 du code de la propriété intellectuelle relatif au droit de suite relèverait de l’ordre public économique de direction et non de l’ordre public de protection. Ce moyen est écarté par la Cour de cassation qui juge : « ayant énoncé à juste titre que l’objectif de la directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l’auteur d’une œuvre d’art originale, à la lumière de laquelle l’article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle (…) devait être interprété, était non seulement d’assurer la protection des auteurs, mais aussi de contribuer au bon fonctionnement du marché commun de l’art, sans entraves ni restrictions de concurrence, par l’adoption d’un régime unifié du droit de suite entre États membres, la cour d’appel en a exactement déduit que tout opérateur, tiers au contrat litigieux, justifiant d’un intérêt légitime, était recevable à en invoquer la violation ».
Le pourvoi affirmait de plus que l’action du SNA serait une action préventive, interdite en tant que telle. Sans répondre formellement à ce grief, la Cour de cassation affirme la légitimité de l’intérêt à agir du SNA en jugeant qu’« ayant relevé que le SNA, qui regroupe des opérateurs dont les ventes sont soumises au droit de suite, prétendait que la clause litigieuse faussait les conditions de concurrence entre les différents professionnels du marché de l’art, elle [la cour d’appel] a retenu à bon droit, que ce syndicat avait un intérêt légitime à agir en nullité de ladite clause »
La deuxième question formulée par le pourvoi porte sur l’interprétation de la l’article 1 § 4 de la Directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001 relative au droit de suite pour savoir s’il autorise une dérogation conventionnelle à l’imputabilité des frais du droit de suite au vendeur, comme l’affirme la société Christie’s.
Certains auteurs estiment que tel est le cas (Nathalie NEVEJANS – Chronique de droit de l’art (2e partie) – Petites affiches, 18 février 2014 n° 35, P. 5 qui cite notamment le 25e considérant de la directive, lequel prévoit que, si en matière de droit de suite « la personne redevable du droit est en principe le vendeur », néanmoins « les États membres devraient avoir la possibilité de prévoir des dérogations à ce principe pour ce qui est de la responsabilité du paiement » et qui affirme que « la directive propose, trois options aux États membres. Ils peuvent donc choisir de mettre le paiement du droit de suite à la charge du vendeur, à la charge d’une autre personne que le vendeur, ou à la charge du vendeur et d’une autre personne, dans un système de partage du paiement » et que « les objectifs de la directive n’interdisent pas une dérogation à la règle du paiement du droit de suite à la charge du vendeur »).
Et dans son arrêt du 3 Juillet 2013 rendu sur l’action du CPGA (CA Paris 3 Juillet 2013 N° 11/20697 Numéro JurisData : 2013-014060), la cour d’appel a expressément retenu la possibilité de déroger conventionnellement aux dispositions de l’article L.122-8 du CPI.
Pourtant un amendement prévoyant la faculté de déroger conventionnellement à ce principe avait été rejeté par la Commission mixte paritaire et le rapporteur du texte au Sénat avait précisé que seul le vendeur doit être tenu au paiement de ce droit .
Le débat n’est toujours pas tranché car la Cour de cassation a choisi de saisir la CJUE d’une question préjudicielle ainsi formulée dans l’arrêt du 22 janvier 2014,: « La règle édictée par l’article 1 § 4 de la Directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l’auteur d’une œuvre d’art originale, qui met à la charge du vendeur le paiement du droit de suite, doit-elle être interprétée en ce sens que celui-ci en supporte définitivement le coût sans dérogation conventionnelle possible ? » .
Il faudra donc attendre la position de la CJUE pour savoir si les législateurs nationaux avaient la faculté de déroger à ce principe.
1-Comme le rappelle le Professeur Carine Bernault in « Question préjudicielle sur le paiement du droit de suite »
L’ESSENTIEL Droit de la propriété intellectuelle, 1er mars 2014