Saisie des correspondances avocat-client par l’Autorité de la concurrence

20/07/2022

Saisie des correspondances avocat-client par l’Autorité de la concurrence : la chambre criminelle de la Cour de cassation maintient, pour l’instant, une protection limitée

Saisie d’une question relative à l’étendue de la protection conférée par le secret des correspondances avocat-client dans le cadre d’opérations de visite et saisie (ci-après « OVS »), la chambre criminelle de la Cour de cassation a récemment maintenu son interprétation restrictive de ladite protection aux seules correspondances liées à la défense des clients[1].

En synthèse, dans l’affaire étudiée, à la suite d’OVS autorisées par trois juges des libertés et de la détention dans le secteur des vins et spiritueux, des recours ont été exercés par chacune des sociétés visitées à l’encontre des ordonnances d’autorisation et du déroulement des OVS.

Les requérantes ont notamment fait grief aux agents de l’Autorité de la concurrence d’avoir refusé d’examiner et d’exclure du scellé fermé provisoire toutes les correspondances avocat-client qui n’étaient pas relatives à un dossier de concurrence, ainsi que les correspondances retranscrivant une stratégie de défense.

Par une ordonnance du 9 décembre 2020[2], le premier président de la Cour d’appel de Paris a rejeté les moyens des parties, à l’exception de ceux portant sur les correspondances liées à l’exercice des droits de la défense relatives à l’objet de l’enquête. Les autres demandes de restitution de pièces ont néanmoins été écartées, au motif que si les conseils des avocats à leur client sont protégés par la loi, ce n’est qu’à condition que soit caractérisée la preuve qu’ils sont émis ou adressés par un avocat pour l’exercice des droits de la défense en rapport avec l’objet même de l’enquête déterminée.

La Cour de cassation, s’inscrivant dans la continuité de sa propre jurisprudence[3], précise que le premier président a retenu à tort que seuls étaient insaisissables les documents relevant de l’exercice des droits de la défense dans un dossier de concurrence, dans la mesure où « c’est dans toutes les procédures où un avocat assure la défense de son client qu’est protégé le secret des correspondances échangées entre eux et qui y sont liés ».

La Cour de cassation n’a toutefois pas censuré l’ordonnance rendue en appel, pour trois raisons distinctes :

– Aucune des sociétés n’a dénoncé une atteinte aux droits de la défense, en dehors de la procédure concernée ;

– La confection de scellés provisoires est une faculté laissée à l’appréciation des enquêteurs, ce qui explique pourquoi les pièces n’ont pas été écartées préalablement à l’examen du juge ;

– La présence, parmi les documents saisis, de pièces couvertes par le secret professionnel ne saurait avoir pour effet d’invalider la saisie de tous les autres documents.

Si, par cet arrêt, la chambre criminelle de la Cour de cassation réitère une position déjà énoncée par le passé[4], elle interroge toutefois en ce qu’elle semble se positionner en contrariété avec la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

La chambre criminelle de la Cour de cassation semble en effet circonscrire la portée de la protection du secret des correspondances avocat-client aux seules correspondances attachées aux procédures dans lesquelles un avocat assure la défense de son client.

Or, la loi précitée est venue insérer, depuis le 1er mars 2022, un nouvel alinéa dans le III de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, en vertu duquel : « Le respect du secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, est garanti au cours de la procédure pénale dans les conditions prévues par le présent code. »

Cette nouvelle disposition consacre non seulement le principe de la protection du secret de la défense, mais également le principe de la protection du secret du conseil. Cette « double » protection est en adéquation avec la jurisprudence européenne en la matière[5], et il ne fait guère de doute qu’elle a vocation à s’appliquer dans le cadre des OVS menées par les agents de l’Autorité de la concurrence.

Ainsi, la position exprimée par la chambre criminelle dans son arrêt, lequel survient postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, interroge.

Le maintien d’une position restrictive quant à la portée de la protection du secret des correspondances avocat-client amène ainsi à se questionner : cette solution de la chambre criminelle de la Cour de cassation a-t-elle vocation à perdurer ? Ou, à l’inverse, un revirement de jurisprudence est-il à prévoir prochainement ?

Par Corinne Khayat, (associé) et Pierre Sinquin (avocat)

[1] Cass. crim., 20 avril 2022, n° 20-87248.

[2] CA Paris, 9 décembre 2020, n° 19/07453.

[3] Cass. crim., 20 janvier 2021, n° 19-84292.

[4] Cass. crim., 20 janvier 2021, n° 19-84292 [5] CEDH, 17 décembre 2020, Saber contre Norvège, requête n° 459/18.

[5] CEDH, 17 décembre 2020, Saber contre Norvège, requête n° 459/18.