Le droit à l’image des défunts
Lors de la conférence “Re:Mars” à Las Vegas, Amazon a annoncé une fonctionnalité d’Alexa et de son intelligence artificielle, désormais capable de reproduire n’importe quelle voix humaine, dont celle des personnes décédées. Cette révélation inquiétante nous rappelle les questionnements relatifs au devenir des droits de la personnalité des défunts.
Le droit à l’image permet à tout individu de s’opposer ou d’autoriser l’usage de son image par des tiers : « Toute personne dispose sur son image, partie intégrante de sa personnalité, d’un droit exclusif qui lui permet de s’opposer à [sa captation, sa conservation, sa reproduction et son utilisation][1]sans son autorisation expresse et spéciale »[2].
Cette notion éminemment jurisprudentielle a été dégagée par émanation de l’article 9 du Code civil, qui pose le principe du droit au respect de la vie privée dans la loi française. Ce droit revêt une dimension patrimoniale certaine, en ce que chaque personne peut contractualiser l’usage de sa propre image avec les tiers : « Le droit à l’image revêt les caractéristiques essentielles des attributs d’ordre patrimonial, il peut valablement donner lieu à l’établissement de contrats, soumis au régime général des obligations entre le cédant, lequel dispose de la maîtrise juridique sur son image, et le cessionnaire, lequel devient titulaire des prérogatives attachées à ce droit »[3].
Le droit à l’image est donc par essence un droit de la personnalité, qui devrait en tout état de cause disparaître en même temps que son titulaire : que « Le droit d’agir pour le respect de la vie privée ou de l’image s’éteint au décès de la personne concernée, seule titulaire de ce droit »[4]. Malgré son aspect patrimonial, le droit à l’image ne se transmet donc pas aux héritiers des défunts[5].
Dans d’autres pays, tels que les Etats-Unis, le droit à l’image (right of publicity) peut perdurer après la mort de ses titulaires. Ainsi, certains Etats américains reconnaissent des droits post-mortem, notamment dans le cas d’entreprises désireuses d’exploiter l’image de célébrités décédées dans un but commercial[6]. On l’a notamment vu à l’occasion de concerts de Whitney Houston, où la performance était donnée non pas par la défunte chanteuse, mais par son hologramme. Depuis la mort de Whitney Houston, sa sœur exploite son héritage musical et organise des concerts donnés par la star virtuelle[7].
En France, lesdits héritiers ne sont toutefois pas démunis en cas d’usage préjudiciable de l’image de leurs proches décédés, et peuvent s’opposer à l’usage de leur image s’il en résulte soit une atteinte suffisamment grave, soit un préjudice personnel :
- Une atteinte grave s’envisage sous le prisme des principes de protection de la dignité humaine, de la mémoire et du respect dû aux morts[8].
- Une atteinte subie par les héritiers se traduit, sans surprise, par une atteinte au respect de leur vie privée[9], mais s’envisage sous l’angle de la responsabilité extracontractuelle de l’article 1240 du Code civil, incontournable lorsqu’un préjudice entre en scène[10].
Des éléments de la personnalité peuvent aussi être protégés par des dépôts de propriété industrielle.
Dans une époque qui évolue au rythme de la technologie, il est légitime de s’interroger sur ces enjeux dans des domaines tels que le divertissement. Ainsi, à une question posée au gouvernement, un député s’interrogeait déjà en 1998 sur la représentation de personnes, vivantes ou décédées, sous la forme de « clones » numériques, vivant indépendamment de leurs modèles dans des ordinateurs ; ce à quoi le garde des Sceaux avait affirmé que la protection de l’article 9 du Code civil s’appliquait également aux images de synthèse, que les personnes représentées par ces dernières fussent vivantes ou décédées[11].
La même logique s’appliquerait aux hologrammes.
Il faut toutefois distinguer le droit à l’image, des droits voisins, lesquels naturellement demeurent protégés, ce qui conditionne la diffusion d’interprétations à l’autorisation du titulaire des droits exclusifs.
L’exploitation en France de l’image d’une personnalité décédée, notamment par des représentations holographiques, fait débat au regard d’une potentielle absence de contrepartie à destination de ses héritiers ; la solution qui avait été retenue à l’égard de l’exploitation de l’image d’Henri Salvador[12]serait donc identique si l’on décidait de « ressusciter » l’image au moyen d’un hologramme.
La question du droit à l’image des défunts a également pu se poser plus récemment lors de la sortie, au mois de mai 2022, d’une émission de France Télévisions à l’occasion de laquelle le présentateur mène des interviews avec des personnalités décédées, en particulier Dalida ; une émission qui ressuscite les morts somme toute, au moyen de la technique du deepfake, qui permet de superposer et d’animer le visage de n’importe quel individu, vivant ou mort, à la place de celui d’un acteur. Bien que les producteurs de l’émission aient choisi de demander l’autorisation des ayants-droits des défunts, redonner vie à des personnes décédées pour les besoins d’une émission télévisée n’est pas clairement illicite[13]et fait débat – comme ferait débat leur potentiel retour dans le metaverse.
Par le département IP-IT / Médias.
[1]Cour européenne des droits de l’homme, 15 janvier 2009, 1234/05, Reklos et Davourlis c/ Grèce, §40, et 27 mai 2014, n°10764/09, de la Flor Cabrera c/ Espagne, §31.
[2]Tribunal de grande instance de Paris, 7 juillet 2003, A. Dombasle ; Cour de cassation, Civ. 1, 27 février 2007, 06-10393 ; Cour de cassation, Civ. 1, 2 juin 2021, 20-13.753 : « L’image étant l’une des caractéristiques attachées à la personnalité de chacun, sa protection effective présuppose, en principe, le consentement de l’individu dès sa captation. »
[3]Cour d’appel de Versailles, 22 septembre 2005, 288693.
[4]Cour de Cassation, Civ. 1, 14 décembre 1999, 97-15.756 ; Cour de cassation, Civ. 1, 15 février 2005 ; Cour de cassation, Civ. 1, 4 février 2015, 14-11.458.
[5]Civ. 1re, 31 janv. 2018, n° 16-23.591
[6] https://www.americanbar.org/groups/intellectual_property_law/publications/landslide/2015-16/january-february/delebs_and_postmortem_right_publicity/
[7] https://www.nytimes.com/2019/05/20/business/media/whitney-houston-hologram-album.html
[8]Cour de Cassation, Civ., 1, 22 octobre 2009, n°08-10.557, a contrario ; Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 1 juillet 2010, 09-15.479 sur l’affaire Ilan Halimi : « la photographie litigieuse avait été publiée sans autorisation, qu’elle suggérait la soumission imposée et la torture, et que la publication, utilisée dans une volonté de recherche du sensationnel, n’était nullement justifiée par les nécessités de l’information » ; Tribunal de grande instance, Paris, 1re ch. 1re sect., 9 octobre 1996, relatif d’atteinte au respect de la mémoire en cas de publication de faits erronés, déformés, publiés de mauvaise foi ou avec une légèreté excessive.
[9]Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 20 décembre 2000, 98-13.875, sur l’affaire Erignac : « la publication de la photographie, contraire à la dignité, constituait une atteinte à la mémoire de la personne défunte, de là, une atteinte à la vie privée de ses proches »
[10]Conseil d’État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 27/04/2011, 314577, « si les proches d’une personne peuvent s’opposer à la reproduction de son image après son décès, c’est à la condition d’en éprouver un préjudice personnel, direct et certain »
[11]JOAN, Question n° 9277, 23 mars 1998, p. 1690
[12]Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 31 janvier 2018, 16-23.591 « « Mais attendu que l’arrêt énonce exactement que le droit à l’image, attribut de la personnalité, s’éteint au décès de son titulaire et n’est pas transmissible à ses héritiers ; »: https://www.doctrine.fr/d/CASS/2018/JURITEXT000036584709 »
[13]HugoDécrypte: Comment Ardisson ressuscite des morts pour une émission