L’infirmation du statut de juridiction de l’Autorité de la concurrence par la Cour de cassation
Le 30 septembre 2021, la Cour de cassation a rendu deux arrêts décisifs [1] en matière procédurale en répondant à la question de savoir si la procédure de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime, prévue aux articles 341 et suivants du Code de procédure civile, est applicable aux rapporteurs de l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité »).
Dans cette affaire, le Syndicat national des Fabricants d’Isolants en Laines Minérales Manufacturées avait, dans le cadre d’une procédure devant l’Autorité relative à des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre dans le secteur des isolants thermiques, déposé une requête en récusation au motif d’un défaut d’impartialité. Le requérant faisait en effet valoir que le rapporteur de l’Autorité avait préalablement exercé des fonctions de poursuite dans cette affaire au sein de la DNECCRF.
Le 24 juillet 2020 [2], le premier président de la cour d’appel de Paris avait jugé que l’Autorité, lorsqu’elle est amenée à prononcer une sanction, était une juridiction et qu’à ce titre les rapporteurs devaient être assimilés à des juges, permettant ainsi aux parties poursuivies devant elle d’en demander la récusation pour cause de suspicion légitime.
Contrairement à ce qui avait été décidé le 4 juin 2020 s’agissant du statut de l’Autorité polynésienne de concurrence [3], dans les deux arrêts commentés la Cour de cassation rejette les pourvois en rappelant que l’Autorité reste une « autorité administrative indépendante » et non une véritable juridiction, y compris lorsqu’elle prononce une sanction ayant le caractère d’une punition, dès lors que les décisions rendues par elle peuvent faire l’objet d’un contrôle de « pleine juridiction » devant la Cour d’appel de Paris [4], conformément à l’article 6, §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
En conséquence, la Cour de cassation juge que la procédure de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime prévue aux articles 341 et suivants du Code de procédure civile n’a pas vocation à s’appliquer à l’égard des agents de l’Autorité.
Pour autant les principes d’indépendance et d’impartialité restent opposables devant cette autorité, la Cour de cassation rappelant à cet égard qu’en application des articles L. 461-1 à L. 461-4, L. 463-1 à L. 463-8, R. 461-3 à R. 461-10 et R. 463-4 à R. 463-16 du Code de commerce, l’organisation de l’Autorité est fondée sur « une stricte séparation des fonctions de poursuite et d’instruction confiées à un service placé sous l’autorité d’un rapporteur général, et des pouvoirs de sanction, relevant du collège ». Ces textes fixent par ailleurs la composition de ce collège et organisent des procédures devant l’Autorité qui tendent à garantir l’impartialité et l’indépendance, ainsi que le respect des droits de la défense.
Par Corinne Khayat et Ophélie Sommé pour le département Concurrence.
[1] Cass. 2e civ., 30 sept. 2021, n° 20-18.672 et 20-18.302.
[2] CA Paris, ord., 24 juill. 2020, n° 20/08149 : En l’espèce, les requêtes en récusation avaient été déclarées irrecevables dans la mesure où elles n’avaient pas été déposées suffisamment tôt conformément aux dispositions relatives à la récusation d’un juge.
[3] Cass. 2e civ., 4 juin 2020, n° 19-13.775.
[4] Article L. 464-8 du Code de commerce